Etudiants: Embarquement immédiat


L'heure du départ a sonné pour de nombreux étudiants antillais. Parmi ceux qui ont fait le choix de poursuivre leur cursus universitaire hors de nos frontières, certains ont déjà pris leur envol, pour d'autres ce n'est plus qu'une question d'heure ou de jour. Rencontre avant le grand saut.

Rivière Salée, Martinique – Dans 24 heures, Guivens sera bien loin de chez elle, à plus de 8 000 km. En fin de journée cette bachelière de 19 ans s'envolera pour Paris Orly avant de prendre une correspondance pour Lyon, la ville où elle posera ses valises pour deux années minimum, le temps de préparer un DUT (Diplôme Universitaire Technique) en Gestion et Logistique Transports.
Ce départ, Guivens le projette depuis des mois, bien avant d'obtenir son Bac Pro Exploitation Transports en juillet dernier. En fait, elle a postulé à Lyon depuis le mois de janvier. L'université l'a convoquée à un entretien oral en mai.

Entretien que Guivens a finalement fait par téléphone via le Net avec Skype, car elle n'était pas en mesure de se rendre à Lyon à cette période. Admise le 7 juin, Guivens a déjà accompli les formalités d'inscription et part avec son son certificat de scolarité dans ses bagages. Seule question encore en suspens, celle du logement qu'elle devra régler une fois sur place. Et cela bien malgré elle car Guivens n'a pas attendu d'être à Lyon pour commencer à prospecter. En Martinique, cette dernière s'est rapprochée de l'AMIL ( l'Association pour la Mobilité et l' Insertion par le Logement), dont le siège se trouve au Lamentin.

L'AMIL aide les étudiants à trouver un logement dans l'Hexagone. Seulement Guivens n'a pas eu beaucoup de chance de ce côté-là. Les offres proposées ne collaient pas vraiment avec ses attentes. L'un des appartements est disponible à compter du 15 septembre, trop tard la rentrée étant prévue le 3. L'autre logement est en co-location, formule qui ne convient pas non plus à Guivens, bien décidée à voler de ses propres ailes et à vivre seule. D'ailleurs, Guivens ne connaît pas grand monde à Lyon, excepté quelques connaissances lointaines. "C'est vraiment une aventure ! J'arrive seule dans une ville que je ne connais même pas ! ".

En attendant de trouver l'endroit où elle résidera le temps de ses études, Guivens séjournera à l'hôtel. Elle a déjà réservé sa chambre sur Internet. Une fois à Lyon Guivens a prévu de se rendre au CROUS après de qui elle a déposé une demande de chambre en résidence universitaire. Elle espère avoir enfin une réponse. Il reste deux semaine avant la rentrée, tout est encore possible, Guivens ne désespère pas de trouver un logement à temps. " Etre à l'hôtel, ça va me booster pour aller chercher un appart!". Guivens part sans appréhension car elle a le sentiment de connaître en quelque sorte la ville de Lyon. A force de surfer sur le web, ce petit bout de femme a déjà trouvé ses marques: " Avec Google Map, j'ai réussi à imprimer la carte de Lyon dans ma tête. J'ai consulté tellement d'annonces de logements sur le web !…

Ce qui me fait peur c'est de rater la station de métro à laquelle je dois m'arrêter !". Malgré ces petites craintes, Guivens sait parfaitement que ces années à venir seront certainement les plus belles de sa vie, des années marquées à jamais dans sa mémoire. Mais cela ne l'empêche pas non plus de garder la tête sur les épaules: " C'est à toi de te débrouiller seul. C'est cool d'être sans maman, sans papa mais il faut savoir gérer son argent, car il y a un loyer à payer. Il faut savoir ne pas claquer son fric ou sortir tous les soirs faire la fête!".

Pas question pour Guivens de se détourner de son objectif: son plan est parfaitement tracé dans sa tête. Celle-ci n'a pas choisi le secteur des Transports au hasard. Elle sait depuis le lycée quel métier elle aspire à exercer un jour: transitaire ou déclarante en douanes. Mais son plan de carrière ne prévoit pas de retour en Martinique: cette étudiante souhaite à terme travailler dans un pays anglophone et de préférence, le Canada. Guivens considère que le secteur des transports maritime et aérien n'est pas encore assez développé aux Antilles, et qu'on est très mal payé comparé à de nombreux pays. Au Canada, c'est tout le contraire selon Guivens: les opportunités d'emploi ne manquent pas. D'ailleurs, son tout premier souhait était de poursuivre ses études au Canada, comme le font de nombreux étudiants antillais et notamment son petit ami Johann à qui elle a d'ailleurs déjà rendu visite cette année lorsqu'il était à Montréal.

Mais le déroulement de l'année universitaire a été fortement perturbé par une grève massive des étudiants. Guivens n'as pas été en mesure de s'inscrire. La procédure pour aller étudier au Canada est très longue, minimum 6 mois: il faut d'abord obtenir un CAQ (Certificat d'Affectation au Québec), puis ensuite postuler pour un permis d'études et un permis de travail. Or la grève a littéralement tout bloqué: impossible pour Guivens d'obtenir dans les délais toutes ces pièces nécessaires à son dossier. Mais ce n'est pas perdu. Après le DUT à Lyon, Guivens compte bien faire cap vers le Québec poursuivre ses études.

Son petit ami Johann âgé de 21 ans, revient du Canada mais il n'y retournera pas en septembre. Il a choisi de se rendre dans l'Hexagone comme Guivens. Son point de chute sera Bordeaux même si pour Johann, rien n'est encore définitif car il n'est toujours pas admis à l'université. Lorsqu'il a voulu postuler en mai, les conseils d'admission étaient déjà passés. Sa demande sera examinée d'ici la fin du mois d'août. Johann partira ensuite pour préparer une Licence en Informatique. Avant cela, ce dernier a déjà accompli 3 années d'études supérieures.

D'abord en Martinique où il a préparé un diplôme de technicien en informatique à Sup Info pendant deux ans. Johann a fait la troisième année à Montréal. Il espérait en arrivant à Bordeaux, s'inscrire en Master mais problème d'équivalences entre les diplômes, il devra refaire la troisième année. Au départ cela ne l'arrangeait pas du tout car dans deux ans, Johann espérait se retrouver sur le marché de travail afin de rembourser le prêt qu'il a contracté pour ses 3 années à Sup Info: 5 000 euros l'année!

Ce sont d'ailleurs les finances qui l'ont aussi pousser à quitter le Canada et son niveau de vie élevé. "Là-bas, la vie est chère ! Je ne prenais plus de petit déjeuner le matin car la brique de lait (un litre) revient à 3 dollars alors qu'un pack de 6 laits ici nous coûte 3 euros en Martinique!". Pour pouvoir joindre les deux bouts, Johann a tenté de décrocher un job mais mission impossible avec les journées de cours bien chargées. Car bien qu'étant au Canada, Johann était scolarisé dans une école française et non canadienne. Le rythme est beaucoup moins soutenu dans les universités de Montréal: 4 heures de cours par jour grand maximum, les étudiants ont donc largement le temps d'avoir un boulot à côté mais pas pour Johann et ses camarades de Sup Info. Certains d'entre eux ont d'ailleurs laissé tomber les études en milieu d'année. Et puis la grève des étudiants à Montréal n'a pas amélioré la situation.

Finalement tout cela est un mal pour un bien pour Johann qui entretemps, a revu sa copie. Au lieu de s'arrêter à une troisième année de Licence, Johann espère bien préparer un Master en Imagerie Son et Video et ensuite, pourquoi pas un Doctorat… aller aussi loin que possible.

Tous les espoirs sont permis pour ces étudiants pleins d'ambition. Comme Guivens et Johann, ils sont plusieurs milliers chaque année à quitter leur île pour aller étudier sous d'autres horizons.

Christine CUPIT