60,58% de réussite au premier tour du Bac général. Score encourageant quand on sait que depuis 5 ans, l'Académie Martinique n'a pas dépassé la barre des 60%. Malgré tout, les résultats 2012 restent bas et inférieurs à ceux d'autres Académies. Ce matin, ils étaient 715 en Martinique à passer les oraux de rattrapage sur les 2230 candidats présents au premier tour.
Jordan attend son tour depuis plus de deux heures. Aujourd'hui, il doit passer deux épreuves à l'oral de rattrapage: Philosophie et Anglais. Seulement voilà, certains examinateurs manquent à l'appel. Le bureau scolaire du lycée Acajou I au Lamentin, tente de trouver des remplaçants à la dernière minute. Ce cafouillage n'est pas pour rassurer Jordan déjà bien stressé. Pour lui, cet ultime passage aux épreuves du Bac L (littéraire) est sa dernière chance de décrocher le "sésame".
Difficile de maîtriser sa peur de l'échec, lui qui a déjà connu plusieurs redoublements. A 20 ans, Jordan souhaite en finir une fois pour toutes avec le Bac. La petite amie de Jordan est là aussi. Zen, car elle a été admise dès le premier tour avec Mention Assez Bien. Mais cette dernière a souhaité accompagner Jordan pour l'encourager.
Car l'oral n'est pas son fort, et encore moins la philo. Or l'Anglais ne suffira pas pour obtenir le Bac: il manque 59 points à Jordan qui considère avoir eu très peu de temps pour se préparer à cette épreuve. Certes, il s'attendait à passer au second tour et avait déjà commencé à plancher. Mais les 72 dernières heures ont été intensives et oppressantes. Les résultats sont tombés vendredi dans la soirée. Samedi, il a fallu choisir les épreuves orales. Et c'est seulement hier lundi que les candidats ont appris que l'examen se déroulait le lendemain.
"Le Bac on s'en fiche!", lui lance Camille 20 ans, une amie pour tenter de rassurer Jordan. Elle aussi passe l'oral de rattrapage, mais en candidate libre.
Il y a deux ans, Camille avait été recalée à l'oral d'Anglais alors qu'il ne lui manquait que 5 points pour obtenir son Bac. Cette année, il lui faut 9 points pour être reçue. Mais pour Camille, cette fois sera la dernière, quel que soit le résultat. Pas question de remettre ça une troisième fois. Et puis il y a d'autres moyens de gagner ce diplôme, notamment le Capa dispensé sur le Campus de Schoelcher et qui donne l'équivalent du Bac et d'une petite Licence de Droit.
Malgré son premier échec, Camille reste positive et garde la tête sur les épaules. Bien consciente que le système scolaire français ne lui convient pas, Camille a fait le choix de partir un an en Angleterre pour combler ses lacunes en Anglais. Elle a également commencé a travailler tout en buchant son Bac.
Camille fait de la traduction pour un magazine de presse écrite américain. A la rentrée prochaine, elle intégrera une école de cinéma à Paris pour être actrice.
"Tout le monde peut avoir le Bac. Mais ce diplôme n'aura bientôt plus aucune valeur! C'est un symbole pour la famille, une sorte de sésame. Pourtant c'est juste une porte ouverte vers d'autres études."
Pour Camille, on peut se passer de ce diplôme qui mériterait une refonte totale. Selon celle-ci, le système scolaire français n'est pas adapté: trop stressant et intense comparé à ceux de l'Allemagne et de la Grande Bretagne que Camille a eu l'occasion de connaitre et qu'elle considère nettement plus efficaces et plus en phase avec le rythme des élèves.
Nicole attend son fils dans la voiture. Malgré l'angoisse, cette mère de famille reste philosophe:"C'est stressant, mais il faut faire avec. Il faut rester positif".
Son fils passe un Bac L: il lui manque 56 points. Mais ce dernier n'a que 17 ans. Pour sa mère, un redoublement ne sera pas la fin du monde. Nicole en sait quelque chose. Elle a 4 enfants. L'ainé a préfèré trouver du travail plutôt que de passer le Bac. Aujourd'hui, il a 23 ans et souhaiterait reprendre le chemin de l'école tout en poursuivant son apprentissage professionnel. Mais les formations proposées ne l'attirent guère.
"Je n'ai pas eu cette chance de faire des études. J'aurais voulu que mes enfants puissent connaître ça." Nicole est au chômage, seul le père a un emploi. "C'est difficile de suivre les enfants": Les études coûtent cher. Alors pas étonnant que les enfants de Nicole désirent travailler le plus tôt possible pour soulager leurs parents.
Selon Nicole, les finances portent un coup sérieux à la motivation de ses enfants.
D'ailleurs, son fils qui passe le Bac a déjà prévu de tenter sa chance sur le marché du travail une fois son diplôme en poche. Les études supérieures ne font pas partie de ses projets d'avenir.
"On peut faire une formation sans le Bac. Ce diplôme ne garantit pas un travail", déclare Jeanne, assise dans le hall du Lycée Acajou I. Cette mère de famille attend sa fille Célia. Elle est venue l'encourager tout comme Marie Noëlle avec sa fille Angela. Pour ses deux mamans, le Bac n'est qu'un passage. Le plus dur reste à venir. "Avant, on pouvait travailler avec un Brevet. Aujourd'hui, nos jeunes ont tous les diplômes possibles et ne trouvent pas d'emploi pour autant. C'est plus dur pour eux".
Marie Nöelle a d' ailleurs une nièce bardée de diplômes: licence, BTS. Cela ne l'empêche pas de figurer sur la liste des demandeurs d'emploi.
Malgré tout, Nicole souhaite que sa fille aille le plus loin possible pour s'assurer un maximum de chances une fois dans la vie active.
Mais le manque de perspectives et le cout des études démotivent de plus en plus de lycéens, peu enclins à décrocher le fameux Bac. Depuis quelques années, les effectifs dans les lycées de la Martinique sont d'ailleurs en nette diminution. Au Lycée Acajou II au Lamentin dont la capacité d'accueil s'élève à 1 500 élèves, seulement 900 étaient inscrits cette année. Dans l'établissement d'à côté, lycée Acajou I, le bureau scolaire peine à atteindre 300 inscrits en classe de Seconde.
Peu d'effectifs et des élèves en situation de détresse sociale. 6 familles sur 10 sont au chômage au lycée Acajou I. Les parents peinent à payer les carnets de bus, la cantine et à acheter les manuels scolaires. Bien évidemment, tout cela a des répercussions sur le cursus scolaire de leurs enfants, qui pour beaucoup font le choix de laisser tomber et de se retirer du système scolaire.