Depuis 1996 et 2002, les Etats-Unis et le Canada mènent une politique systématique de rapatriement de tout résident étranger ayant commis un délit sur leur sol. Mêlés à des crimes et des cas viols, les déportés sont le plus souvent conduits une seconde fois en prison, dès leur arrivée en Haïti. Deux réalisateurs, Rachèle Magloire et Chantal Regnault, consacrent un documentaire à ce groupe marginalisé.
Le lundi 18 mars dernier, s’est tenue à FOKAL la "première", à Port-au-Prince, du film "Deported" de Rachèle Magloire et Chantal Regnault, dont la réalisation aura duré six ans.
Cette projection a eu lieu en présence des réalisatrices et de deux personnages du film, Joël et Richard, avec qui le public a eu la chance d’échanger, non seulement sur le film, mais plus largement sur les conditions des déportés en Haïti et sur les possibilités de leur intégration. Cette séance était organisée à l’intention des officiels, des autorités et des associations de défense des droits humains, dans l’espoir de voir germer une attention collective autour de cette problématique.
55 minutes de plongée documentaire, comme une main tendue
Depuis 1996 et 2002, les États-Unis et le Canada mènent une politique systématique de rapatriement de tout résident étranger ayant commis un délit sur leur sol. Cela va des crimes, des viols, à de simples condamnations pour conduite en état d’ébriété ou de petits vols.
Le documentaire de Rachèle Magloire et Chantal Regnault filme huit déportés, rapatriés en Haïti après avoir purgé leur peine de prison aux États-Unis et au Canada.
Dans les rues bondées de la capitale, au milieu des bruits de klaxon et des cris des marchands ambulants, les personnages expliquent leur difficile parcours, leur solitude et leur incompréhension face à cette double peine.
L'absurdité d'une déportation effrayante
Le documentaire choisit de ne pas aborder les causes des condamnations, pour mieux centrer son regard sur les effets individuels d’un système judiciaire après la détention. Anglophones, ayant grandi en Amérique du Nord, ces citoyens originaires d’Haïti se confrontent à l’absurdité d’une déportation dans un pays parfois totalement inconnu, souvent effrayant.
Au fil des années, les personnages prennent de l’épaisseur et les parcours semblent souvent s’enliser. Car la caméra prend le temps de demeurer, mois après mois, aux côtés de ces personnages, libres à nouveau, mais enfermés dans un pays qui n’est pas le leur.
Le désarroi s’amplifie et la distance avec les familles et les amis « lòt bò dlo » résonne peu à peu comme un second abandon.
L’impossible équation de l’exil forcé
Le film se transporte alors chez ces proches qui continuent à vivre dans l’absence du père, du frère ou du fils. Tandis que chacun des déportés transmet au spectateur une dignité pudique, les langues se délient dans les familles et les larmes pointent. Transparaissent aussi la violence de la rue, la relégation, les carences de l’éducation et la pauvreté dans des villes glaçantes d’Amérique du Nord, très loin du cliché d’une opulente société démocratique.
Le temps du documentaire laisse à voir comment les liens familiaux se défont. Peu à peu, l’envoi d’argent vers Haïti se réduit jusqu’à peau de chagrin, faute de moyens. A Port-au-Prince, un ancien déporté reste muet devant un guichet, où on lui annonce qu’il n’a pas reçu de transfert.
Si les années passant, les anciens déportés parviennent – pour certains – à reconstruire une nouvelle vie, l’impossible équation de l’exil forcé ne se résout jamais. Le film n’intègre aucune interview de policier, d’avocat ou de représentant de l’Etat, faisant peser tout le poids de leur peine aux personnages, sans filet.