Coup de vent sur les bananeraies


Ce qui reste d’une plantation à Robillard dans le Nord


Le prix de la banane a augmenté de 50% dans le Nord et dans les autres régions balayées par l'ouragan Sandy, il y a trois mois. Comme si un malheur ne suffisait pas, les planteurs font maintenant face à une grave sécheresse.

Les cicatrices laissées par l'ouragan Sandy sont encore béantes à Robillard, section communale de Plaine-du-Nord. À la petite église catholique de la localité, plusieurs dizaines de planteurs encadrés par "Caritas Haïti" racontent leur mésaventure, comme s'il s'agissait d'une litanie. "Nous constatons, malgré nous, une rareté dans les livraisons de bananes. Cette rareté est causée par une augmentation du prix, se lamente Robert Valdort. C'est la conséquence des vents violents qui avaient balayé nos plantations lors du passage de l'ouragan Sandy."

70% des récoltes détruites

Si l'ouragan a été dévastateur, ses conséquences sont aujourd'hui encore plus destructrices. Tous les planteurs s'accordent pour dire qu'il s'agit de la pire épreuve endurée par la population de Robillard. "En pareille période, les marchandes des villes avoisinantes venaient ici pour acheter les bananes récoltées, ajoute le leader communautaire, expliquant que l'ouragan a détruit 70% des récoltes. Cette année, nous n'avons même pas assez de bananes pour nourrir nos familles!" Ce qui n'est évidemment pas sans conséquence sur la situation alimentaire des quelque 16 000 habitants de Robillard.

"Illustration concrète de la misère qui s'installe peu à peu, seulement quelques-uns des 479 élèves qui fréquentent l'école presbytérale ont pu, jusqu'ici, acquitter les 1 550 gourdes exigées pour l'année scolaire", constate le révérend père André Sylvestre, responsable de la Caritas paroissiale de Robillard.

Après la tempête… la sécheresse

Trois mois après l'ouragan, l'avenir paraît toujours incertain pour les habitants de la bourgade, dont un grand nombre travaille illégalement en République dominicaine. "Sur 85 enfants baptisés récemment à l'église Notre-Dame de la Merci, seulement 15 pères étaient présents à la cérémonie religieuse, ajoute le curé Sylvestre. Les autres se démènent de l'autre côté de la frontière."

Les drageons de banane, qui ont poussé naturellement dans les plantations, deviennent rachitiques à cause de la sécheresse. "Nous pourrions espérer récolter des bananes seulement si on avait pu arroser les drageons", se désole Lucierni Valdera, un planteur entre deux âges.

Depuis 1986, l'année marquant la fin de la dictature des Duvalier, on assiste à la coupe effrénée des arbres. Parmi les dizaines de paroissiens dans l'enceinte de l'église, un jeune lance soudain : "Nous sommes conscients de la dégradation de l'environnement, mais il ne nous reste que les arbres à couper pour avoir un peu d'argent."

Le malheur des Haïtiens fait l’affaire des Dominicains 

Principal centre de la production bananière du pays, la plaine de l'Arcahaie, dans le département de l'Ouest, a subi, elle aussi, des pertes considérables. Elles sont énormes pour les planteurs, particulièrement ceux qui avaient contracté des emprunts auprès des établissements de microcrédit.

"La récolte a seulement été différée, précise l'agronome Joel Ducasse, propriétaire d'une importante plantation dans la cité du Drapeau. Le problème, c'est que nous allons passer 4 à 5 mois sans récolte et donc sans revenus." Les consommateurs paient déjà les pots cassés, à la suite de l'ouragan Sandy.

Le prix des bananes a augmenté d'environ 50% sur le marché local depuis quelques mois, constate l'agronome Ducasse. Cette rareté est reflétée jusque dans les paniers des marchands de "papitas" (bananes séchées au sucre ou au sel, et vendues dans les rues ou dans les supermarchés), de plus en plus difficiles à trouver.  "Nous vendons davantage des papitas préparées avec des patates douces, depuis que le prix de la banane a augmenté", confirme un marchand ambulant.

Cette rareté fait cependant l'affaire des planteurs dominicains. Avant même l'ouragan Sandy, Haïti importait pour environ 10 millions de dollars américains de bananes de la République dominicaine, moins touchée qu'Haïti par les ouragans de l'automne dernier. Il y a fort à parier que les prochaines statistiques officielles fassent état d'une augmentation substantielle des importations de bananes au cours de 2013.

Parce qu'un malheur n'arrive jamais seul, une nouvelle maladie gagne du terrain en Haïti : la redoutable "black sigatoka" (responsable de la cercosporiose noire), un champignon inhibant la croissance des régimes.

Claude GILLES