Après Chavez : Victorin Lurel ou le sens du « buzz »


Victorin Lurel, la France d’Outre-mer "incarnée" ?

De retour des obsèques d’Hugo Chavez à Caracas, Victorin Lurel, le ministre des Outremers – qui représentait officiellement la France parmi la cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement rassemblés pour l’occasion – a “commis” des commentaires dont le moins que l’on puisse en dire est qu’ils lui ont valu un triomphe, bien négatif il est vrai, sous les feux de la rampe médiatique nationale. Si “notre” ministre avait voulu exister aux yeux de l’opinion publique hexagonale qui peinait majoritairement à l’identifier, cette fois, c’est réussi !

Mais qu’est-il donc allé chercher dans cette galère en rase campagne anti-occidentale, en acceptant cette mission présidentielle à haut risque diplomatique et politique ? C’est, en substance, ce qu’ont pu se dire tous ceux qui, sous nos tropicales latitudes, connaissent bien l’homme politique, son tempérament de tribun toujours prêt à en découdre, sa fascination pour l'histoire de France, enfin tous ceux – plus “proches de lui” par l'origine au moins ! – qui sont plus familiers de son tempérament, de ses aspérités de caractère et des référents culturels qui les fondent – cette dernière précision n’est pas anodine, nous y reviendrons…

Reste qu’au-delà des propos réellement tenus par le ministre des Outremers, dont chacun pourra juger de la pertinence, du sens et de la portée voulue ou supposée, en fonction de ses tendances et opinions propres, c’est davantage le battage médiatico-politique auxquels ils ont donné lieu dans l’Hexagone comme en Outre-mer, qui interpellent.

Car pour atteindre à cette inédite et à quelques égards, surprenante notoriété, il a bien fallu que Victorin “fasse fort” tout de même ! Et cela en trois salves verbales successives, s'il vous plaît !

Victorin super star !

Relayons, comme ils ont été prononcés (!), les propos de l’intéressé, tout d’abord. Au micro de Guadeloupe 1ère, qui avait délégué à Caracas l’un de ses reporters, les premiers mots “lureliens” sujets à polémique ont été les suivants [à vérifier ici, pour ceux que cela intéresse…] :

"En fait, il y a quelqu'un [au cours de la cérémonie, NDLR] qui a résumé l'action de Chavez par deux mots, toutes choses égales par ailleurs, avec la distance : Chavez, c'est de Gaulle plus Léon Blum. De Gaulle, parce qu'il a changé fondamentalement les institutions ; il a créé une cinquième République – d'ailleurs, ici, c'est une 5e République – il a modifié un peu les rapports de l'État et de la société civile… Et puis Léon Blum – le Front populaire -, parce qu'il lutte contre les inégalités, il lutte contre les injustices, il crée des droits sociaux ! Et çà, ce n'est parfois pas toujours compris…"

Çà, c'est le moins que l'on puisse dire, en la circonstance ! De ce premier commentaire lurélien, seuls les mots soulignés par nous “en gras” ont été retenus, vilipendés, objets d'insultes et d'indignations diverses.

D'ailleurs, Victorin – auraient bien voulu lui souffler ses “nouveaux amis” – ce “quelqu'un” qui a prononcé la fameuse formule qu'on te reproche, qui a osé profaner la mémoire de deux icônes majeures de la vertu républicaine, tu aurais pu le nommer, tout de même !

Deuxième expression lurélienne ayant valu à l'impudent une furieuse volée de bois vert : "Moi, je dis, et ça pourra m'être reproché [conscient, tout de même, Victorin, de ce qui l'attendait ! NDLR] … que le monde gagnerait à avoir beaucoup de dictateurs comme Hugo Chavez, puisqu'on prétend que c'est un dictateur. Il a, pendant ces 14 ans [à la présidence du Venezuela, NDLR], respecté les droits de l'Homme”.

Alors là, trop, c'est trop ! Stupeur et tremblements d'indignation dans l'assistance ! Les Vertueux Offensés ont fait feu de tout bois d'ébène pour débusquer l'insolent et le livrer à l'hallali populaire…

Dans le microcosme médiatique national et singulièrement parisien, “on” a pu – et on ne s’en est pas privé ! – gloser sur “la faute grave”, “la honte pour [son] pays” pour les plus sévères, la “bourde”, la “boulette”, le “couac” de trop pour les tenants de son “incompétence”, proféré sans nuances par un Victorin toujours disert sinon nuancé. Jusqu'à réussir à mettre dans l’embarras “son” gouvernement Ayrault, une fois de plus voué aux gémonies par une droite nationale unanime à le sommer de désavouer son ministre.

Sans d'ailleurs que quiconque, au sein de ces belles consciences politiques et autres grands imprécateurs de presse rassemblés, veille à remettre en perspective et dans un contexte caribéen sous-jacent, des mots qui offraient occasion trop belle pour la laisser passer, à polémique, critiques voire moqueries diverses…

Indignations “ultra-marrantes”

Réflexion intéressante, tout de même, car plus mesurée dans ce concert d'imprécations, celle de Daniel Schneidermann, éditorialiste de circonstance, sur son site “Arrêts sur Image” : "N'importe qui comprend que Lurel ne considère pas Chavez comme un dictateur, et n'appelle pas à la multiplication des dictateurs. Au contraire, il réplique par l'ironie, et en les réfutant, à ceux qui traitent Chavez de dictateur. Littéralement, Lurel est lui-même irréfutable : outre qu'il est d'usage, lors d'un enterrement, de prononcer sur le défunt des paroles aimables, Chavez a été élu et réélu lors d'élections libres, il s'est soumis à un référendum révocatoire qu'il a gagné, etc.” Mais il n'y a de pires sourds que ceux qui refusent d'entendre…

Autre commentaire nuancé, celui d'Olivier Duhamel, politologue pigiste de luxe sur Le Lab, “la filiale de buzz politique d'Europe 1”, qui entend expliquer à notre Victorin les mérites de la langue de bois et les méfaits de l'ironie à l'heure des tweets en réunion : “Incontestable que, comparé au Coréen du Nord, Kim Jong Un, au Biélorusse Loukachenko, au Turkmène Berdimuhamedow, aux Iraniens Khomeini et Ahmadinejad, au Cubain Raùl Castro, Chavez a été élu et réélu par des élections libres. Incontestable, que Chavez a instauré un présidentialisme pas si loin du nôtre, et qu'il a développé des programmes sociaux. Alors, où réside l'erreur ? Dans l'oubli qu'à l'ère de la vidéocratie, il convient d'éviter les subtilités tant le message est simplifié. […] Tout politique doit se rappeler cette règle : avant de parler, comment mes propos risquent-ils d'être résumés et déformés ?”

Loin de nous, faut-il le préciser, la volonté de “défendre l'indéfendable” en offrant à “notre” Victorin une échappée belle sémantique en forme de “botte en touche” hors le jeu médiatique en cours. Car Chavez n'a sans doute pas été irréprochable dans bien des domaines, économiques notamment.

Mais la violence, la virulence de certaines réactions récentes, échappés avec l'indignation de rigueur de certaines bouches “autorisées”, à de quoi laisser perplexe, rêveur, sinon indigné à son tour… quand on est d'extraction ultra-marine s'entend.

Florilège choisi : “On veut croire que cette affirmation n’est pas la position officielle du gouvernement français. […] Il appartient au Premier ministre d'expliquer ce qui semble à l'évidence être un nouveau couac dans l'expression politique de l'équipe qu'il est censé diriger” (Yves Jégo, député de Seine-et-Marne, désormais délégué général de l’UDI de Jean-Louis Borloo, et ex-secrétaire d’Etat UMP à l'Outre-mer, “débarqué” sans ménagement par son gouvernement d’alors dans la mouvance LKPiste en 2009) ; “Je suis très choqué par les propos du ministre Lurel comparant Chavez à De Gaulle et Blum” (Christian Estrosi, député-maire UMP de Nice et ex-ministre de l'Outre-mer de Nicolas Sarkozy, bien connu pour s’être fendu, en son temps, d’un “Vive l’Algérie française !” se réjouissant des “effets positifs” de la colonisation)…

Après tout, faire appel, dans le registre de l'émotion, à l'indignation, voire à la dérision plutôt qu'à la réflexion, c'est toujours "porteur" en politique…

Seul bémol dans les rangs de la droite, émis comme par hasard par le Guadeloupéen Patrick Karam, conseiller politique à l'UMP et ancien délégué interministériel à l'égalité des chances des Français d'outre-mer sous le précédent quinquennat, qui “demande à [ses] camarades d'arrêter de polémiquer vainement pour leur conseiller de méditer ce proverbe africain : quand on grimpe au cocotier, il faut s'assurer d'avoir les fesses propres…”

“Chez nous”, la droite locale n'a pas, non plus, été avare de critiques acerbes contre l'imprudence sinon le “crime de lèse-majesté” commis par un “ministre de la République” par trop présomptueux, voire arrogant dans sa conception de son rôle ministériel et des libertés prises avec l'extrême-onction républicaine dont il est, de fait, investi “au nom du peuple de France”… Manque de métier dans l'exercice, concède-t-on à l'impudent.

Mais, là encore, chacun – et chacune ! – reste “dans son rôle” au cœur de la vaste scène médiatico-politicienne où se font – et se défont !- les réputations… au gré des “buzz” complaisamment relayés. Par Twitter interposé, ces "gazouillis" sont très tendance, il est vrai.

Les tweets, pensées “profondes”

Après tout, s'adresser directement aux citoyens, c'est tout de même mieux que de s'en remettre à des intermédiaires de presse trop souvent indociles, non ? Le partage sur les réseaux sociaux, c'est du direct, çà, mon gars ! Tout le monde peut enfin lâcher son commentaire, le plus bref et le plus profond possible – dans le sens de creux ? – s'il vous plaît !

Nous voilà rendus à un stade où 160 caractères, c'est déjà du Proust de comptoir ! Et certains mails, moins contenus côté calibrage texte, sont à citer en étalons de mesure des pensées profondes… comme une certaine France dont elles émanent.

Quelques menus exemples de référence, parmi les plus “inspirés” : “ce type a un peu forcé sur le rhum avant de discourir de la sorte. Mais gare au jour où il ira en Russie, avec la vodka, c'est au panégyrique de ce cher Staline auquel on aura droit” ; “Lurel est un homme dit de "couleur" qui défend aveuglément un autre homme dit de "couleur". Le reste est discours” ; “ce discours et l'analyse de monsieur Lurel est un festival de bêtises. Qu'il retourne dans son île au lieu de représenter la France !” ; “Les ultra-marrants comme Lurel sont de véritables clowns. C’est Victorin Laurel qu’on devrait l’appeler, ce hardi !”  ; “Faut pas trop lui en vouloir ! Il commence à peine à lire le français. Et il n'est pas près de comprendre ce qu'il entend !” On en passe… et des plus tristes !

Que ceux qui pensent “racistes” et “négrophobes” lèvent le doigt !

Les formules, qu'on n'osera pas supposer maladroitement assénées quand on connaît l'homme, utilisées par “notre” ministre pour commenter l'actualité d'un moment aussi chargé de symboles que celui de l'homme d'État vénézuélien – qui a rassemblé autour de sa dépouille le ban et l'arrière-ban des nations d'Amérique latine, et singulièrement des Caraïbes ! – ont en tout cas balayé sur leur passage un champ sémantique hautement signifiant, pour qui voudra lire entre les lignes…

“Marre de ces petites polémiques !”

Car, tout de même, accepter, investir même, une telle “mission” présidentielle requérait pour le moins quelque audace. “La France a eu tort de ne pas envoyer […] une personnalité de premier plan à cet enterrement [sous-entendu : le ministre des Outremers n'est qu'un second couteau ? NDLR]. Oui, ça méritait que le ministre des Affaires étrangères [Laurent Fabius, NDLR] y aille”, a perfidement commenté un “camarade socialiste” et ex député PS, Julien Gray. Reste que ce “sous-ministre inconnu” des Français “de souche” qu'est Lurel est “l'un des rares ministres du gouvernement de Jean-Marc Ayrault à avoir connu” Hugo Chavez, selon le principal intéressé. En août 2005, en effet, il s'était entretenu avec lui à l'occasion de l'hommage national aux 152 victimes du crash de la “West Caribbean Airways” au Venezuela. À l'époque, Victorin Lurel était accompagné de… François Hollande, alors premier secrétaire du Parti socialiste.

Outre Marisol Touraine (aux Affaires sociales), qui a rappelé que “faire de Chavez une figure de référence internationale n'a pas de sens, mais oublier ce qu'il a fait pour les plus pauvres serait également une faute”, l'un des rares ministres en exercice à avoir, pour l'heure, réagi aux questions angoissées des journalistes avides de “scoop” buzzissime, c'est Manuel Valls, le ministre de l'Intérieur. Lequel avait d'autres chats à fouetter, comme en témoigne sa verte “sortie” sur BMFTV : “J'en ai marre de participer à ces petites polémiques qui nous éloignent de l'essentiel.” En effet…

Encore faudrait-il rappeler à certains aigris “continentaux” que Victorin Lurel, quand il s'exprime au nom de la France, représente non seulement l'Hexagone mais aussi les départements et territoires d'Outre-mer, lesquels, bien qu'appartenant fièrement, pour certains, à l'ensemble national, n'ont pas forcément la même perception européo-centrée que leurs "compatriotes" du microcosme parisien…

Du zoo de France aux eaux d'Outre-mer

“Notre” Victorin, quelque peu ego-mégalo-maniaque aux yeux de nombre de ses opposants politiques “tropicaux”, n'en a pas moins fait plaisir à plus d'un, issus de “la diversité” – pour reprendre l'expression officielle consacrée -, en livrant, le sourire aux lèvres, une troisième salve provocatrice via sa description jugée “choquante”, voire “insultante” par beaucoup, de la figure du défunt Chavez “embaumé” dans son dernier sommeil : “Je l'ai trouvé rajeuni. Il était tout mignon [sic !], frais, apaisé comme peuvent l'être les traits de quelqu'un mort. On avait un Hugo Chavez pas joufflu comme on le voyait après sa maladie…” Et l'inénarrable Victorin d'enfoncer le clou de l'intolérable en se disant impressionné par la préparation du corps du défunt : “On avait l'impression qu'il y avait là une sorte d'opération – je pèse mes mots – de sanctification.”

Commentaire d'une mordante ironie sur Le Point.fr, d'un courageux anonyme contre les propos délivrés par notre sous-ministre “comme s'il sortait d'un zoo ou du parc de Thoiry [le singe n'est pas loin ! NDLR], sans doute fatigué par le décalage horaire ou importuné par le soleil du Venezuela” – pour un Ultra-marin peu habitué à une telle chaleur n'est-ce pas, cela tombe sous le sens ! – :

“Heureusement que saint Hugo Chavez est mort avant la tenue du conclave. Avec des cardinaux comme Victorin Lurel, il pouvait être élu pape la semaine prochaine !” Encore un qu'on imagine prêt à se réjouir par avance d'un successeur du démissionnaire Benoît XVI tombé d'un baobab d'Afrique !

Dans un autre registre, c'est au tour de Jean-Luc Mélenchon, un pro-Chavez de longue date pourtant, de voir là encore enfoncé, par un Victorin jugé insupportablement gouailleur, son seuil de tolérance funéraire : “Quelle arrogance ! Quel mépris ! Quelle insulte ! C'est le style monsieur petite blague qui devient celui de la France ? Doit-on se préparer à commenter la tête qu'aura ‘pèpère’ dans son cercueil le moment venu ? Devra-t-on alors commenter l'état de ses cheveux implantés et celui de ses rondeurs ?” assène-t-il, exaspéré, en guise d'allusion à François Hollande.

Manifestement, pour une certaine France, confier, en une telle circonstance, la représentation de la Patrie des droits de l'Homme à un “Ultra-marrant” aussi peu au fait des usages de la diplomatie française, ça coince !

Commentaire d'un élu pointois (Modem), Louis Dessout, qui connaît ses classiques en terres de culture créole : “concernant les commentaires [de Victorin Lurel] sur l'aspect physique de Chavez, c'est une coutume locale et caribéenne de dévisager et commenter l'aspect d'un défunt en s'inclinant sur sa dépouille.” Vous avez dit “choc des cultures” ?

À qui le tour ?

Autre petit commentaire en (toute relative) défense enfin, pour ceux qui ont la mémoire courte, valant son pesant de réflexion, posté par un internaute anonyme : “Chavez est mort, à 60 ans de distance, un 5 mars comme Staline. Ce dernier a eu droit, dans les pays communistes d'Europe, à un deuil national assez court. Et en France, à un quasi deuil national, qui a duré 6 mois…” Staline, pour l'époque, autre Grand démocrate devant l'Eternel. Mais autre temps… autre mort, n'est-ce pas ?

Alors, tout ce buzz pour pas grand' chose, au regard des enjeux et sujets majeurs de l'heure ? Sans doute. Mais le sens du buzz manifesté en l'occurrence par Victorin Lurel méritait de faire sens, justement, pour ceux qu'intéresse encore “la Comédie du Pouvoir” sous le fouet cinglant des grands médias qui comptent…

Après la descente en flammes, puis le retour en grâce médiatique de Christiane Taubira, dans la tourmente du “mariage pour tous” soutenu avec la conviction que l'on sait par la passionaria guyanaise, au tour de Victorin Lurel donc, issu comme elle des Outremers, de subir les foudres énarchiques et éditoriales des caciques de la Juste Pensée démocratique française et de la bienséance d'expression… avant de ressusciter de ses cendres en terre d'élection statutaire !

À qui le tour, désormais ? George Pau-Langevin, “notre” ministre – déléguée, il est vrai ! – à la Réussite éducative, a quelque souci de plus à se faire !

Daniel ROLLÉ