Décès de Félix Proto : l’hommage d’un ami


L’ancien Président de la Région Guadeloupe (1986-1992) est mort le 2 juin 2013, des suites d’une longue maladie…

Ancien président du Conseil régional (de 1986 à 1992), Félix Proto a tiré sa révérence, ce dimanche 2 juin, entouré de l'affection de tous les siens. L'hommage qu'a tenu à lui rendre un ami de longue date, légitimé par sa connaissance intime des dossiers d'intérêt général qu'ils ont eu à traiter ensemble, prend valeur de réquisitoire "en défense", pour l'édification de toutes celles et tous ceux que son parcours politique hors normes n'a intéressé que sous l'angle des "critiques" et des manœuvres politiciennes d'alors à son encontre. In memoriam.

J'ai rencontré un Homme

En 1982, j'étais venu exercer les fonctions de directeur général des services du département de la Guadeloupe, à mon grand dam… Comme le philosophe Diogène, j'errais sous le soleil des tropiques, un flambeau à la main, à la recherche d'un Homme, d'un Homme digne de ce nom. J'ai rencontré Félix, Félix Proto.

À vrai dire, nous nous connaissions depuis l'enfance car ses parents, étant des amis des miens, fréquentaient notre famille et, quoiqu'il fût plus jeune que nous, le petit Félix faisait partie du cercle des gamins qui s'amusaient entre eux à l'occasion des fêtes traditionnelles ou des événements familiaux. Son père, infirmier, fut d'ailleurs celui qui, le premier, me piqua les fesses pour m'injecter ces fortifiants qu'on administrait après la guerre pour compenser les carences alimentaires…

Nous nous étions perdus de vue dès le début des années 1950, car mes frères et moi avions dû nous exiler en raison du terrible incendie qui avait détruit, en même temps que le Grand Hôtel des Antilles, notre demeure.

J'avais retrouvé Félix à la fin de l'année 1982, un peu avant qu'il fût candidat aux premières élections régionales, qu'il perdit avec la liste Nouvel Horizon. Mais je sus tout de suite, en le rencontrant, qu'il était devenu un de ces rares Guadeloupéens à avoir une pensée politique, une vision prospective du devenir de son pays et une réelle volonté d'agir dans les sens des intérêts de ses compatriotes.

Cette relation amicale, presque familiale que nous avions eue dans notre enfance, se transforma immédiatement en une amitié virile qui ne fit que se consolider avec le temps.

J'avais, enfin, rencontré un Homme en Guadeloupe.

Penseur et bâtisseur hors pair

La vox populi avait affublé Félix d'une réputation de noceur, qui n'était pas complètement fausse car il aimait s'amuser et profiter de la vie avec ses amis.

Mais ça, c'était pour les apparences. Derrière le masque du charmeur, qui jusqu'au bout avait gardé quelque chose de juvénile, avec un regard en même temps malicieux et triste, il y avait un homme d'une intelligence subtile et profonde.

Lorsqu'il fut élu à la tête de la Région Guadeloupe en 1986, le président Félix Proto me demanda de venir à ses côtés pour l'aider dans la tâche ardue qu'il s'était assignée.

La première impression que j'avais eue en le retrouvant en 1982, se confirma alors, mais, au-delà, je découvris qu'il n'était pas seulement un homme intelligent et sensible, il était également un homme d'action, fier, digne et conscient de la haute responsabilité qui lui avait été confiée.

Nous nous mîmes au travail, après un inventaire qui se révéla désastreux. Le constat opéré nous avait fait entrevoir l'immensité du labeur à accomplir.

Pendant 6 ans, Félix s'y consacra corps et âme, démontrant à ses détracteurs et aux jaloux que son intelligence pouvait s'appliquer de façon concrète à la réalisation des travaux dont avait besoin la Guadeloupe.

Il engagea un programme ambitieux de rénovation de la vie politique, économique, sociale et culturelle de la Guadeloupe, accompagné par une majorité composite, comportant notamment des élus du parti communiste guadeloupéen, dont la collaboration était souvent critique.

Pendant six ans, en surmontant les obstacles politiques, il perfectionna les infrastructures, construisit des routes, des équipements sportifs, des lycées, aida les communes à se développer, et lança l'idée essentielle de son mandat : initier les Guadeloupéens, avant même les Français de l'Hexagone (la Guadeloupe avait alors 15 ans d'avance) aux technologies avancées de la communication, en sorte que l'île pût opérer par ce biais une profonde mutation, en passant de l'ère de l'agriculture de type colonial à l'ère des métiers de la communication.

Il expérimenta ainsi une télévision régionale, construisit une Maison de la Communication, acheta, au titre de la Région, un répéteur sur le satellite de communication Télécom 2, afin de pouvoir diffuser formations et productions locales, dessina la perspective économique qu'un tel changement ouvrait aux Guadeloupéens.

Mise à mort politique

Mais l'activisme de Félix irrita ses propres partenaires, qui ne saisirent pas le bien fondé de ses démarches (ou firent semblant de ne pas le saisir). Il se brouilla notamment avec le président du Conseil général, lorsqu'il refusa de se plier aux exigences de ce dernier concernant le financement de la filière canne/sucre.

Dès lors, son arrêt de mort politique fut scellé. Une coalition hétéroclite de ses adversaires et de ses amis politiques au niveau national (à qui il avait, par ailleurs, refusé des financements occultes), décida de l'éliminer de la scène politique.

La décision fut relayée par le ministre de l'Outre-mer. L'opération se déroula par le biais de la Caisse des dépôts et consignations, qui, sans préalable, décida de déclarer obsolète une partie des emprunts les plus anciens de la Région, ce qui eut pour conséquence de créer artificiellement un “trou” dans le budget de la collectivité.

Félix Proto, accusé dès lors de mauvaise gestion, fut battu aux élections régionales de 1992.

Félix s'était alors retiré dans son cabinet médical, ne s'exerçant plus à la politique qu'au niveau communal, tout en continuant à analyser la situation de la Guadeloupe avec un remarquable sens critique.

Félix est mort ce dimanche 2 juin 2013. Il reste à évaluer l'apport considérable qu'il a fait à la Guadeloupe, et dont personne ne lui a été jusqu'ici reconnaissant.

Il est vrai que la capacité d'oubli de nos compatriotes est une donnée constante, depuis qu'après 1848, les autorités de la République nous ont appris à l'exercer.

Je ne crois pas cependant que Félix Proto puisse tomber dans l'oubli, tant ses réalisations sont présentes dans la vie courante des Guadeloupéens, même si, parfois, d'autres se les attribuent.

Mon ami Félix est mort. Félix Proto doit rester dans la mémoire collective.

 

Paris, le 2 juin 2013 – Henri HAZAËL-MASSIEUX