Épandage aérien : le tribunal administratif désavoue le préfet


Par décision judiciaire en date du 29 novembre, rendue publique le 10 décembre, le tribunal administratif de Basse-Terre a, une fois de plus, invalidé les récentes dérogations préfectorales, des 13 juillet et 15 octobre. L’épandage aérien des bananes est donc de nouveau “interdit”… Jusqu’à nouvelle dérogation ?

Sur ce document judiciaire de 16 pages, les juges administratifs de la 3e Chambre ont détaillé les griefs et arguments croisés des parties en présence pour livrer leur verdict final. Donnant raison aux associations environnementales requérantes (SOS Environnement, Amazona, Asfa et Iretra), ils ont débouté les “Producteurs de Guadeloupe”, déterminés à défendre les dérogations préfectorales autorisant l’épandage, ainsi que les 6 exploitants agricoles qui soutenaient cet arrêté maintenu, au motif qu’il leur permettait de lutter plus efficacement contre les ravages de la “cercosporiose noire” sur leurs plantations de bananes.

Générosité excessive ?

Pour résumer, le verdict des juges s’appuie en substance sur “la trop grande générosité” des décisions préfectorales autorisant l’épandage. Les Producteurs de bananes avaient, en effet, réclamé et obtenu du préfet une dérogation à l’interdiction européenne d’épandage portant sur 18 des 26 communes concernées. Pour sauver une filière en péril car gravement contaminée, argumentaient-ils.

Mais, a estimé le tribunal administratif, l’épandage dérogatoire avait été autorisé “sans définition préalable des périodes”, outre sa zone très étendue de traitement, présentant de ce fait un “caractère général et quasi permanent” qui “ne répondait pas aux caractéristiques auxquelles doivent légalement satisfaire les autorisations dérogatoires”.

Enfin, aucun bilan des effets de la précédente dérogation sur les parcelles concernées, ni des conséquences sur l’environnement liées au risque de ruissellement, n’avait été pris en compte par le préfet pour motiver sa décision.

Chantage à l’emploi contre psychose environnementale ?

On imagine la stupeur et l’indignation d’après-verdict des Producteurs de bananes, à nouveau renvoyés à leur obsession de garantir la pérennité d’une filière “qui emploie 700 planteurs et des milliers de personnes en Guadeloupe et en Martinique, plus de 50% d’emplois permanents dans l’agriculture.”

Des arguments déjà émis en juillet dernier par Éric de Lucy, le président de l’Union des groupements de producteurs de bananes antillais. Il stigmatisait alors “la psychose injustifiée” des environnementalistes forcenés, qui “par méconnaissance, font la liaison [avec la chlordécone], ce qui n’a rien à voir.”

Et Éric de Lucy de conclure son argumentaire en défense d’un cinglant : “si une nouvelle dérogation n’est pas possible et que, d’ici là, nous n’avons pas mis au point un système alternatif, nous arrêterons la banane. Et vous assisterez aux Antilles à un drame social du niveau de ce qu’on voit chez PSA (Peugeot) en France métropolitaine”.

Un interminable feuilleton judiciaire

Reste que cette décision du tribunal administratif, immédiatement applicable, d’interdire l’épandage n’exclut en rien une nouvelle possibilité, pour le préfet de Région, de proposer une nouvelle dérogation, plus soucieuse de concilier principe de précaution et réalisme économique. Quitte à susciter une nouvelle levée de boucliers des “gardiens du temple” environnemental antillais.

Le feuilleton judiciaire de l’épandage aérien pourrait encore s’annoncer fertile en épisodes mouvementés…

Daniel ROLLÉ