Georges Troupé donne un dièse au gwo-ka.

« Mésyé zé dam, pwan ti ban-la sizé ,rété kouté, kouté pou tann, tann é konpwann  Georges Troupé, gran nonm la. » Ce saxophoniste a consacré sa vie à étudier la musique. En tant que bon Sainte-Annais qui se respecte, il a horreur de faire les choses à moitié. Avec son groupe Kimbol, il a plaçé le gwo ka sur une « portée » universelle en le mettant sur partition. Lecture.Une enfance en cadence
L’histoire commence à Calvaire Sainte-Anne. Georges Troupé, fils de cultivateur, a toujours été élevé dans un milieu dynamique. Sa famille étant responsable d’un lolo, Georges est toujours en contact avec la vie traditionnelle guadeloupéenne. Quand ce n’était pas le domino, il tapait le carton en jouant à la belote, ou participait aux nombreux chants pendant les périodes de fête.
La musique chez les Troupé a toujours tenu une place importante. Sa mère est la descendante de la famille Acramel de Château-Gaillard où Elie et Thibus animaient les quadrilles. La célèbre Man Dupuis est également une cousine proche. Avec toutes ces prédispositions consanguines c’est tout naturellement que le jeune Georges forme son premier groupe qu’il appellera « Fleur de jeunesse » pour rendre hommage à Paul Emile Alliard et son orchestre Jeunesse. « Notre but, se souvient-il, était d’animer les quartiers et nous jouions souvent  dans les après-midi récréatives. »

 Je travaille, je travaille
De 1958 à 1961, Georges Troupé suit une formation musicale théorique, et de saxophone à l’école Beusher à Paris. « A partir de cet instant, j’ai toujours étudié la musique. Je n’ai pas vraiment joué mais je l’ai toujours travaillé. » En 72, après un bout de chemin avec Kafé, rencontre avec Christian Dahomey. En compagnie de Robert Oumaou à la guitare, ils montent ensemble le groupe Gwa-ka Sonné. « Sous les propositions et les recherches de Gérard Lockel, nous avons décidé de suivre la même route, dans notre style afin de créer un univers musical tout en respectant méticuleusement la rigueur et la justesse du gwo-ka moderne. »
Le groupe Gwa-ka Sonné a beaucoup tourné en Guadeloupe mais n’a jamais voyagé. «  A cette époque, les choses n’étaient pas faciles, mais c’est à partir de là que j’ai décidé à continuer ce travail avec les enfants qui entouraient régulièrement le groupe. » Benny, Sonny, Fabienne et Marylène (BSFM) en faisaient parti et c’est comme ça que naît l’association Kimbol. C’est à partir de là, qu’apparaît l’écriture du gwo-ka sur partition pour les instruments à vent et ensuite les rythmiques. Du jamais vu en Guadeloupe ! Comme tout ce qui est nouveau, l’idée est mal acceuillie dans le milieu du ka. Les musiciens n’y ont jamais crû, et pour les tambouyés c’était un véritable crime. Le gwo-ka c’est un  sentiment qui se transmet de bouche à oreille. Gwo-ka sé la ri. Sa pa ka ékri !
Malgré toutes médisances, Troupé persévère et sort en 88 la première édition de la méthode « Graphie et Musique ». Léwoz, kaladja, mendé, graj, pajenbel, woulé et toumblak peuvent être désormais déchiffré universellement. « Selon moi, si on joue du ka, il faut le traiter comme il se doit. Gérard Lockel a inventé un document scientifique mais la lecture n’est pas standardisée. Avec notre méthode, tout le monde peut lire cette musique quelque soit son origine. Sinon on tournera éternellement en rond. »
Selon Troupé, le gwo-ka moderne, ce n’est pas uniquement l’utilisation de nouveaux instruments, mais un développement de phrasé en utilisant ce qui existe déjà, pour le propulser plus loin. « Un instrument de musique restera toujours un objet passif. »
Depuis  1987, Georges Troupé assure des cours de rythmes et de musique, ainsi que des initiations dans divers établissements scolaires. C’est lui qui composera le générique du film « Siméon » d’Euzhan Palcy. Il assurera également des séances d’initiation en milieu musical notamment lors des festivals de percussion et de gwo-ka de Sainte-Anne. Il assure l’encadrement pédagogique lors des Orchestrades de la Caraïbe de 1995 à 1999, et lors des Orchestrades de Brive la Gaillarde en 97 et du Festival de musique Celte l’année d’après. Récemment, il assure l’encadrement des jeunes musiciens de Kimbol à Cuba dans le cadre d’un voyage d’échange musical entre le Conservatoire Amadéo Roldan de la Havane et Kimbol. Pour la première fois, les jeunes cubains ont interprété les morceaux traditionnels guadeloupéens sans aucune écoute préalable.

De la médisance à la reconnaissance
1984-2004, vingt ans déjà ! Deux médailles honorifiques de la Ville de Sainte-Anne et du Conseil Régional,  16 concerts au Centre des Arts à guichet fermé, quatrième édition de « Graphie et Musique », une cassette pédagogique de « Rythmes et chants » pour les jeunes, et bientôt sortie du troisième album : « Konfians pou dèmen. » Qui dit mieux ? C’est son fils Sonny, qui, malgré son jeune âge à déjà pas mal roulé sa bosse, qui a coordonné la direction musicale.
« Konfians pou dèmen. » Un troisième album qui n’est pas destiné aux vendeurs de pacotille. Ce n’est pas un produit « kleenex » ni de l’alimentaire pour les médias mais une trace, un document sur CD qui prouve la progression du travail engagé sans relâche depuis deux décennies. « Sonny a apporté une autre couleur et une autre dynamique,  avoue-t-il. C’est peut-être une autre façon de voir les choses, mais l’essentiel est que l’on tombe d’accord et qu’on ne perde jamais de vue l’esprit du ka. »

« Es-tu sûr de comprendre l’autre en te rejetant ?
S’unir, signifie-t-il ne pas offrir sa part. Les hommes sont ce qu’ils sont, soyons ce que nous sommes » .Robert Oumaou.

Alain Thétis