Restavèks en Haïti : Jean-Robert Cadet dénonce


La couverture du livre de Jean-Robert Cadet


Ancien enfant esclave, l’auteur du très médiatisé “Restavèk” poursuit en Guadeloupe sa croisade contre l’exploitation servile des enfants haïtiens au nom d’une tradition honteuse et silencieuse…

Les traces historiques, encore sensibles dans la Caraïbe, de l’esclavage d’Etat et de la traite négrière, ont laissé en Haïti un vestige comportemental régulièrement dénoncé par la communauté internationale : celui des enfants esclaves.

En Haïti, on les appelle les “Restavèks” (les filles, on les appelle aussi les “Lapousa”, aux connotations sexuelles évidentes en créole). Ces victimes sans-voix, ces “dommages collatéraux” du système esclavagiste colonial, sont souvent sacrifiés par des parents démunis qui croient les sauver de la misère en les confiant à des familles d’accueil, vivant le plus souvent en ville.

Ces sans-droits ni protection publique, traités comme des sous-produits d’humanité, en butte aux brimades et aux plus basses corvées domestiques, sont exploités, battus ou violés dans un silence social complice.

La honte, arme de dissuasion massive

Jean-Robert Cadet fut l’un d’entre eux. Son histoire, poignante, et ses vertus de résilience, son retour à la vie, il les a consignés dans un livre (sortie en 1999, publié au Seuil en 2001, et régulièrement réédité depuis). “Restavèk, enfant esclave d’Haïti” est aujourd’hui célèbre en ce qu’il est le seul récit de ce drame social émanant d’une ex-victime.

“Ce livre est sorti de mon ventre, de mon cœur, de mon sang”. L’auteur était, vendredi soir, l’invité-vedette d’une discussion publique organisée par son éditeur, les Editions Jasor, au centre culturel Rémy Nainsouta à Pointe-à-Pitre.

Devant une assistance nombreuse et quasi recueillie, Jean-Robert Cadet a dénoncé avec force et la fermeté de l’espoir “le secret honteux” d’Haïti. “C’est la honte qui peut servir de levier à un changement en profondeur des mentalités”, affirme-t-il aujourd’hui.

La voix des “Intouchables” de la Caraïbe

Son calvaire, sa colère d’ancien esclave, l’aube enchantée d’une nouvelle vie qui s’en est suivie, lui servent désormais de ferment de révolte, d’arme de dénonciation publique.

Ils cimentent sa volonté de dénoncer, à la face du monde, le sort misérable encore réservé aujourd’hui à tous ces enfants sans-nom, sans-droits, sans-âge, ces “Intouchables” si proches de nous, et pourtant si loin, dont il s’est fait le porte-voix, sur toutes les tribunes internationales où il lui est demandé de s’exprimer.

Un récent sondage de l’Unicef, publié après le terrible séisme de 2010 qui a ravagé Haïti, estime leur nombre de 300 000 à 450 000 de nos jours. Et sans doute davantage, compte tenu de la conspiration du silence, le silence de la honte qu’il a fortement contribué à briser… au péril de sa vie parfois.

Jean-Robert Cadet n’a jamais connu l’école et ne parlait que créole jusqu’à sa fuite aux Etats-Unis. À force de courage et de ténacité, il a obtenu une maîtrise de littérature française à l’Université de Cincinnati. Il s’emploie sans relâche à changer les mentalités dans son pays d’origine, et pour que cesse l’esclavage des enfants. Un combat passionné qu’il poursuit chaque jour par le biais de sa Fondation : la “Jean R. Cadet Restavek Organization”.

Daniel ROLLÉ