SICTOM contre URBASER : un sursis peut en cacher un autre


La décharge de la Gabarre : un site notoirement saturé…


Le dossier du traitement des déchets sur le site actuel de la Gabarre n'en finit pas de s'épaissir… tout comme le mystère autour des raisons inavouées du conflit, désormais ouvert, entre le SICTOM et URBASER. Entre les deux protagonistes impliqués dans le projet PEMDTMA, le torchon n’en a pas, non plus, fini de brûler. Le tribunal administratif, saisi de l'affaire, vient de se prononcer. Au tour du préfet…

Le SICTOM (syndicat intercommunal de collecte et de traitement des ordures ménagères), présidé par Michel Rinçon l’affirme haut et fort : c’est pour “faute grave” qu’URBASER, le délégataire en charge de la mise en œuvre du projet PEMDTMA (plateforme environnementale multifilières de traitement des déchets ménagers et assimilés), a vu son contrat de délégation de service public (DSP) résilié, en juillet dernier, par son ordonnateur, le syndicat mixte de l’agglomération pointoise.

Lors dudit contrat, URBASER s’était engagé, via une société dédiée (VALORGABAR), à financer, construire et exploiter la plateforme en question, à un coût (initialement estimé à 170 M€ !) et dans des délais prescrits. Face à sa supposée “défaillance”, retour à la case départ ? Pas si simple…

Divorce consommé

Cette mise hors course d’URBASER pour, en substance, non-respect des délais d’exécution et dépassement de budget (c’est là sa “faute grave”), menace cependant, à terme, d'avoir quelques prolongements assez dommageables pour l’exploitation en l’état d’une décharge de la Gabarre notoirement saturée. Et au-delà, d'emporter, en cas d'initiatives hasardeuses, quelques conséquences économiques et sociales potentiellement “irréversibles sur le syndicat” et, par voie de conséquence, “sur ses communes adhérentes (Pointe-à-Pitre, Gosier, Abymes, Baie-Mahault, notamment) et leurs contribuables”…

Car il s’agit toujours de mener à terme ce projet de plateforme salvatrice, avec un autre partenaire… ou pas, mais sans fragiliser davantage un SICTOM déjà bien mal en point financièrement.

Comment en est-on arrivé là ?

Résumons – aussi succinctement que possible – les grandes étapes d’une situation dantesque qui a conduit au blocage actuel.

Depuis la fermeture des décharges illégales en 2008, les apports en déchets s’élevaient à quelque 220 000 tonnes/an, jusqu’en 2011, sur un site de la Gabarre implantée en pleine mangrove, dans une zone classée “espace naturel et culturel remarquable protégé”, à faible distance d’une zone fortement urbanisée (Grand Camp).

Une situation anarchique et potentiellement explosive, à laquelle il fallait mettre un terme. Par arrêté préfectoral d’août 2012, la capacité maximale de traitement de la décharge était limitée à 140 000 t/an. En 2009, le volume des déchets déjà en place sur le site, avait été estimé entre 1,5 million de m3 et 3,1 millions de m3. Il devenait urgent d’agir.

[À ce stade du récit, petit avertissement à nos lecteurs : la profusion des sigles utilisés dans le secteur, bien que lassante, est inévitable. Mieux vaut s’y habituer !]

Conformément au PDEDMA (Plan départemental d’élimination des déchets ménagers et assimilés), la PEMDTMA (l'acronyme barbare de la plateforme multifilières en question) devait, une fois construite par URBASER et devenue opérationnelle, traiter 137 000 tonnes/an… à partir de janvier 2013.

Mais la crise est passée par là. Lâché par ses banques en 2008, URBASER ne retrouvera un financement qu’en janvier 2011, formant un second avenant au contrat de base, mais avec un taux d’emprunt “réactualisé”… Délais et coût largement dépassés, le SICTOM décide, on l’a vu, de rompre le contrat. Et cherche un autre délégataire. Il lance une nouvelle procédure d’appel d’offres non sans s’attacher les services de cabinets conseils (Ernest & Young, Bird & Bird) pour les études prospectives. Il lui faut donc gagner du temps…

Sur décision préfectorale, la DEAL (Direction de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement de Guadeloupe) chargée de l’ICPE (l’inspection des installations classées pour la protection de l’environnement) est, entretemps, consultée pour avis. Dans son rapport du 12 décembre, elle propose de prolonger la durée d’exploitation de la décharge de la Gabarre jusqu’au 31 mars 2013. Soit un sursis de 3 mois. Mais, au final, c’est au Préfet, représentant l’Etat, de trancher.

Cette proposition sera d’abord soumise à l’avis du CODERST (le Conseil départemental de l’environnement et des risques technologiques). Il se réunit ce vendredi 21 décembre. C’est sur l’avis que rendra cette instance (favorable ou non) que le Préfet de Guadeloupe s’appuiera pour signer (ou non) l’arrêté prolongeant l’autorisation d’exploiter de la décharge actuelle, pour un trimestre de plus.

D’autres étapes à l’horizon…

Ces trois mois de sursis doivent permettre à la DEAL d’instruire le dossier technique du SICTOM, transmis le 4 septembre dernier, et son complément, apporté le 16 novembre, qui réclamait la prolongation de l’exploitation de la décharge pour encore deux ans. Soit jusqu’au 31 décembre 2014. La DEAL émettra alors un nouveau rapport. Qui sera soumis, une nouvelle fois, à l’avis du CODERST – vous suivez toujours ? – lors de la session de février 2013.

Mais même si elle est acceptée, cette prolongation de deux ans ne sera qu’un second sursis. Le problème se posera dans les mêmes termes à la fin de ce délai. Car le nouveau projet de plateforme multifilières initié par le syndicat mixte ne sera, de toute façon, pas opérationnel avant l’été 2016.

Si la DEAL propose aujourd’hui de prolonger l’exploitation de la décharge, sous prétexte, entre autres, que la situation économique du SICTOM est préoccupante, qu'en sera-t-il au bout de ces deux ans, quand tous les recours à l’encontre du SICTOM auront été jugés ?

Quand la justice s’en mêle…

Le SICTOM a déjà été débouté, en novembre dernier, de son refus d’accorder une expertise judiciaire à VALORGABAR (émanation d’URBASER), en vue de déterminer si les motifs de la fameuse résiliation de contrat, de juillet 2012, par le SICTOM étaient bien justifiés.

Le tribunal administratif de Basse-Terre a bel et bien désigné un expert (Catherine Gervason) et lui a fixé une mission en 10 points – dont l’évaluation du montant de l’indemnité de résiliation due au délégataire, en cas de résiliation de la délégation de service public (DSP) “pour motif d’intérêt général”… et non pour faute !

Rendez-vous est donc pris dans trois mois, pour la prolongation de la décharge. Et dans six mois, pour la remise du rapport d’expertise sur la décision de résiliation de cette fameuse DSP.

Ajoutons, pour être complet et bien fixer les enjeux – et les risques – financiers encourus, qu’URBASER, qui conteste sa supposée “faute grave”, réclame au SICTOM quelque 46M€ (46 millions d’euros) d’indemnités de résiliation…

À ce stade du long "feuilleton de la Gabarre", une seule certitude : le très attendu projet de revalorisation et de mise aux normes environnementales du site pointois semble bel et bien parti pour traîner quelques années de plus…

Rodolphe BEPPO & Daniel ROLLÉ