En prévision du 10 mai nous faisons le tour des grands hommes inscrits au Panthéon qu’on ouvrira au peuple de France.Les grands principes de la Révolution française devaient logiquement aboutir à l’indépendance des colonies et à l’émancipation des «nègres» : dès que la liberté est reconnue comme indivisible, on ne peut reconnaître la liberté politique et économique des planteurs blancs en maintenant les mulâtres et les nègres dans l’ inégalité civile; de même, dès qu’on reconnaît le droit d’un peuple à disposer de lui-même, on ne peut s’étonner qu’une colonie demande son indépendance. Mais à cette politique des «principes» opposait la politique des intérêts ! Dans la bibliographie qu’Aimé Césaire a consacré au personnage, le combat de Toussaint Louverture est présenté comme un combat pour transformer le droit formel en droit réel : «Quand Toussaint Louverture apparut sur la scène historique, ce fut pour prendre à la lettre la déclaration des Droits de l’homme Il incarna et particularisa les principes de la Révolution. Le droit était déclaré abstraitement, il fallait le faire advenir aux peuples historiques, à tous les peuples… (alors que, de fait, les Droits de l’homme se sont souvent rétrécis à n’être que ceux de l’homme européen)». Lorsque Bonaparte envoya ses troupes contre Saint-Domingue. Tous les soldats et un bon nombre d’officiers voyaient dans Toussaint Louverture un traître vendu aux Anglais, aux prêtres et aux émigrés. Mais Lacroix raconte que certaines nuits, alors que les soldats de la métropole entendaient dans la forteresse insurgée la Marseillaise, le «Ça ira» et d’autres chants révolutionnaires, ils se tournaient vers leurs officiers, hésitants, se demandant si les Noirs de l’autre côté des murailles étaient véritablement leurs ennemis ou s’ils n’étaient pas plutôt eux-mêmes de vulgaires instruments politiques (en l’occurrence au service de la bourgeoisie provinciale qui tirait ses revenus des colonies…). Merleau Ponty revenant sur cet exemple dans sa «Note sur Machiavel» souligne qu’«ici comme souvent, tout le monde se bat au nom des mêmes valeurs : la liberté, la justice. Ce qui départage c’est la sorte d’homme pour qui l’on demande liberté et justice, avec qui l’on entend faire sociétés : les esclaves ou les maîtres». Avoir des valeurs n’est pas suffisant et ne signifie rien tant que l’on n’a pas choisi ceux qui ont mission de les porter dans la lutte historique et au bénéfice de qui. Ce n’est pas seulement dans le passé que des Républiques ont tué au nom de la liberté et pris l’offensive au nom de la loi. La politique est rapport avec des hommes plutôt qu’avec des principes : les principes n’engage à rien de précis, ils sont, hélas, ployables à toutes fins; il importe donc de savoir quelles forces et quels hommes les appliquent. C’est la grande découverte de Machiavel. Dans ses lettres à Bonaparte, Louverture écrivait : Le premier des Noirs au premier des blancs et après son arrestation il clamera : «En me renversant, on n’a abattu que le tronc de l’arbre de la liberté des Noirs ; il repoussera par les racines parce qu’elles sont nombreuses et profondes».
Maximini.com avec philophil.com