XIIIe Congrès : les interventions des élus et responsables politiques


Josette Borel-Lincertin, présidente de Région… et de séance d’un 13e Congrès vécu sous le signe du "dissensus".


Crise des valeurs, revalorisation identitaire, défiance vis-à-vis de la représentation politique locale, déshérence sociétale, déni des défis économiques, recherche de cohérence et de lisibilité dans ce qui est apparu, pour certains, comme le véritable “champ de mines” de politiques publiques globalement en crise : les thèmes d’affrontement n’ont pas manqué au cœur des débats du 13e Congrès des élus départementaux et régionaux. Illustrations en séance, par interventions d'élus et de responsables politiques interposées.

Le 27 décembre dernier restera, dans bien des mémoires d’observateurs incrédules, comme celui d’un Congrès, 13e du nom, où les élus guadeloupéens ont affiché leurs désaccords et leurs querelles au grand jour, au terme de débats vifs et souvent passionnés, sur fond de rivalités partisanes et, sans doute, de peur des lendemains électoraux qui déchantent. Des rivalités souvent dénoncées comme délétères pour la cohésion sociale guadeloupéenne.

La crise du politique

Désavouée, l’actuelle mouture du grand Projet guadeloupéen de société, largement boudée par la population consultée. Dénoncée, la mainmise sur la réflexion politique de coteries partisanes oublieuses des enjeux économiques et des priorités populaires (chômage, insécurité, pouvoir d’achat, stabilité institutionnelle…). Exprimée, la rancœur sourde d’un ex-Président de région contre les critiques exprimées sur son implication ministérielle loin de “sa base” électorale. Evaporés, les espoirs d’un large consensus politique sur l’avenir institutionnel de l’archipel, et surtout d’une entente apaisée en matière de “gouvernance”. La résolution n°3 adoptée en fin de séance le précise : les élus congressistes réclament au gouvernement et au président de la République leur onction pour la tenue d'une consultation populaire, afin que les électeurs se prononcent "sur les différentes options institutionnelles envisageables, dans le cadre de l'article 73 de la Constitution".

Car c’est bien là que se situe l’épicentre d’un combat politique sous-jacent, pour le "partage des dépouilles" d’un héritage bicéphale des responsabilités… avant l'heure des rétributions négociées, au profit des futurs acteurs d’un pouvoir “recentré”, même doté d'éventuels "contre-pouvoirs", après moult tractations souterraines d’états-majors effervescents.

Le Congrès du dissensus”

Victorin Lurel, “observateur” très attentif des débats de ce 13e Congrès et du spectacle politique donné par les prises de paroles qui l’accompagnent, a annoncé la couleur : bien que Ministre des Outremers, il restera aux premières loges de ce débat de longue haleine, en sa qualité affichée de “natif-natal” – y compris “sur le terrain” populaire – pour exprimer en leur temps ses convictions, afficher son « indépendance d’esprit et de conscience » et peser sur les décisions à venir, avant de s’en remettre à l’onction populaire, sollicitée au final pour trancher.

« Transformer les institutions, c’est aussi transformer l’homme guadeloupéen. Et ce n’est pas facile ! » […] « C’est le Congrès du dissensus », a-t-il notamment affirmé, avant de préciser : « C’est nous-mêmes [élus] qui nous décrédibilisons », malgré une notable absence de dérapages verbaux lors de ce Congrès – sous le feu nourri des caméras, cela aurait fait désordre ! Et le ministre-observateur de conclure : […] « Le peuple souverain va trancher entre nous. » Restera pourtant à s’interroger sur les conditions d'organisation de cette fameuse consultation populaire et sur les limites d’expression qui seront allouées aux électeurs, lors de ce fameux référendum attendu pour “fin 2013”.

Lors de la présentation aux congressistes du tout récent sondage d’opinion des Guadeloupéens interrogés “sur leur société et ses priorités d’évolution”, les enquêteurs d’IPSOS Antilles ont mis en lumière « le paradoxe psycho-social » d’une société guadeloupéenne écartelée entre espoir individuel, malgré un contexte de crise économique mondialisée, et pessimisme collectif. Un pessimisme alimenté par une défiance récurrente envers les élus locaux et un besoin encore insatisfait d’informations pertinentes – la presse est aussi concernée ! – quant aux enjeux politiques d’avenir. Tout cela sur fond de dilution sensible des valeurs morales "tradtionnelles" d'une société en crise : famille, cohésion sociale, réconciliation identitaire…

Les thèmes prioritaires d’évolution exprimés par les sondés ? L’insécurité, l’éducation, le développement économique… La question de l’évolution statutaire ou institutionnelle n’est pas jugée « fondamentale ou incontournable ». Globalement, pour l’heure, « 53% des opinions exprimées favorisent le statu quo, quand 41% sont partisans d’une évolution ». De quoi inciter nombre de politiques à revoir leur copie pour infléchir la tendance…

Des solutions existent…

Déjà, certains observateurs politiques invités à la table du Congrès, ont exprimé quelques idées fortes, quelques propositions à vocation consensuelle, dans un concert globalement “dissensuel”.

Parmi eux, à titre d’exemple, Louis Dessout, conseiller municipal pointois, représentant le Modem, dans une contribution au Projet guadeloupéen, qu’il signe en forme d’avertissement préalable : si l’on en croit l’expérience d’éminents universitaires, « toutes les décentralisations en France se sont toujours traduites : pour l’État, par une diminution de ses charges, transférées sans ressources correspondantes aux collectivités ; pour les populations, par un essorage fiscal entraînant une baisse du pouvoir d’achat, une baisse de la croissance, la délocalisation des entreprises. » Dans un contexte européen en mutation accélérée, dont le "barycentre" (le centre de gravité, autrement dit) est désormais le Rhin : « c’est désormais la France qui se trouve à la périphérie de l’Europe. » Et nous, territoires insulaires d'Amérique, à son ultra-périphérie !

Il préconise donc de proposer, s’agissant des transferts de compétences annoncés, « un inventaire de la situation macroéconomique et anthropologique de notre archipel […] », en s’aidant d’un "tableau de bord" adapté, déjà à l’œuvre en Alsace, utile « outil moderne de mesure du potentiel fiscal » d'un territoire, ramené aux besoins de la Guadeloupe. Un indispensable baromètre de conjonctures capable, après études adaptées, de « déterminer les solutions appropriées » aux freins et carences identifiés en faveur du développement local.

L’important, à ses yeux, est de retenir, au préalable, « une bonne méthodologie » de travail, assise sur l’expertise « d’élus et cadres territoriaux d’expérience » (fussent-ils retraités !), sur l’exigence d’une plus grande « transparence financière » des budgets de nos collectivités et sur l’urgence d’une meilleure prise en compte d’une nécessaire « intercommunalité » au plan local. Une intercommunalité vécue comme outil d’une réelle solidarité territoriale, pourvoyeuse d’économies d’échelle dans des comptes communaux au plus mal. De quoi, au final, éviter à la Guadeloupe d’être confrontée aux rivalités et concurrences budgétaires et fiscales de ses communes, comme le vivent déjà la Martinique et la Guyane, nouvellement converties à l’assemblée unique.

Enfin, adossé à la solidarité européenne, c'est en organisant le co-développement des RUP (régions ultra-périphériques) de l'Atlantique sud et de la Caraïbe, « dans un espace intégré européen, portuaire, aéroportuaire, de télécommunications et agricole, autour d'un barycentre » qu'on pourra garantir « leur survie à l'échelle d'un véritable marché régional. » À l'image de Madère, des Canaries et des Açores…

La Décentralisation – acte 3 en point de mire

Sous l’ombre tutélaire d’un bouclier européen qui se lézarde sans cesse, au fil de “la crise”, le consensus de nos élus, face aux défis économiques et aux périls sociétaux qui s’annoncent, est-il raisonnablement possible ? L’esprit de concorde, en matière de bien public, et de respect des engagements pris devant les électeurs, inspirera-t-il les politiques publiques à venir ?

Un élément de réponse réside déjà dans l’examen des “blocs de compétences” dévolus aux élus locaux, qui seront proposés à l’examen du gouvernement. Elles figurent dans la 2e résolution actée à l’issue de ce XIIIe Congrès et concernent : le développement territorial (emploi, formation, fiscalité, transport…), l’activité des entreprises (création, immobilier, crédits, aides à l’export…), la cohésion sociale (éducation, délinquance, santé publique, action sociale…) et le renforcement de l’identité guadeloupéenne (habitat, logement, environnement, politique culturelle, coopération internationale décentralisée)… Les convoitises électorales auront là largement matière à s'exprimer. Mais les moyens financiers "transférés" suivront-ils, à la hauteur de l'ampleur des tâches "décentralisées" espérées ?

Ces propositions seront d’abord validées lors d’un prochain Congrès – le bras de fer s’annonce long et hérissé d’épines… – avant d’être présentées au gouvernement en vue de leur intégration dans le cadre, en devenir, de l’Acte 3 de la Décentralisation.

Le parcours du combattant

Ce prochain 14e Congrès garantira-t-il, mieux que le 13e du nom, l’expression libre des opinions politiques et des convictions identitaires, dans le respect des différences ? Contribuera-t-il à réconcilier débat démocratique et adhésion populaire au futur Projet guadeloupéen de société, en gestation prolongée ? Exprimera-t-il « une ambition collective pour le pays », nourrie de débats constructifs, fossoyeurs d’individualisme, d’intérêts de clans et de querelles de personnes ? Rien n’est moins sûr…

Tout au long du véritable “parcours du combattant” politique qui s’annonce, semé d’obstacles tant endogènes d’exogènes, la balle restera encore dans le camp de nos élus, et des “experts” qui inspirent ou accompagnent leurs actions publiques à venir… Avant de nous revenir en plein cœur, fin 2013, une fois franchi un filet référendaire sans doute plus ardu à décrypter qu’il n’y paraît.

Pour l'heure, chaque Guadeloupéen de sang ou de cœur, peut – ou doit, rayez la mention inutile ! – se sentir concerné, se faire sa propre opinion. Paroles d’élus et de responsables politiques à l'appui [ci-dessous exprimées], à l’aube – osons le mot ! – d’une ère nouvelle : celle de la responsabilité collective, face à l’histoire en marche. Seule certitude, au final : nous aurons l’avenir que nous méritons…

Reportages vidéo : Jean-Marc RABARIJAONA / Auteur : Daniel ROLLÉ