Raphael CONFIANT: »Le terme de « crime contre l’humanité » est une hypocrisie ».

Un écrivain antillais répond à Finkielkraut…
Depuis quelques semaines, le philosophe Alain Finkielkraut se répand dans tous les médias, en particulier sur les radios juives, pour stigmatiser les Antillais, en particulier les Martiniquais, au motif que ces derniers seraient tout à la fois des « assistés » et des anti-sémites, adeptes de Louis Farakhan. Mieux (ou pire) : la créolité serait une idéologie haineuse distillant un discours anti-blanc et francophobe. Profitant des différents procès intentés à l’humoriste Dieudonné et des bagarres provoquées par des « casseurs noirs », venus des banlieues, à l’encontre des « lycéens blancs et juifs » lors des dernières manifestations contre la loi Fillon, il enfonce le clou en lançant une pétition nationale qui se révèle être un véritable appel à la haine anti-Noirs, un manifeste de ce qu’on pourrait appeler la « mélanophobie ».

 
 
Sans doute Alain Fienkielkraut ignore-t-il ce qu’est exactement la Martinique (à moins qu’il ne feigne de l’ignorer). Pour sa gouverne et celle de ceux qui le soutiennent dans sa croisade anti-nègre, il me semble important de rappeler un certain nombre de faits historiques :
 
 – En 1635, les Français débarquent dans une île peuplée depuis des millénaires par les Caraïbes, île que ces derniers nommaient « Matinino » ou « Jouanakaéra ». En moins de trente ans, ils massacrent ceux-ci jusqu’au dernier, continuant ainsi le génocide des Amérindiens entamé avant eux par les Espagnols et les Portugais.
 
 – Vers 1660, et cela jusqu’en 1830, ils importent des centaines de milliers d’Africains qu’ils transforment en esclaves dans des plantations de canne à sucre lesquelles contribueront pendant trois siècles à faire la fortune des ports de Bordeaux, Nantes, La Rochelle etc et plus généralement de la France, participant ainsi, aux côtés des autres puissances européennes, à l’esclavage des Nègres.
 
 – En 1853, l’esclavage aboli car désormais non rentable, ils importent, et cela jusqu’en 1880, des dizaines de milliers d’Hindous du Sud de l’Inde qu’ils installent sur les plantations, en partie désertées par les anciens esclaves noirs, et leur imposent un système d’asservissement et de travail forcé qui n’a rien à envier à l’esclavage.
 
– En 1960, l’Etat français crée le BUMIDOM (Bureau des Migrations des Départements d’Outre-Mer) et importe des dizaines de milliers de postiers, filles de salles et infirmières, ouvriers d’usine et autres agents de police antillais qui, aux côtés des travailleurs immigrés maghrébins, contribueront pour une large part à ce qu’il est convenu d’appeler les « trente glorieuses ».
 
Telle est, en raccourci, l’histoire de la Martinique. On est loin des plages de sable blanc, des cocotiers et des belles « doudous », n’est-ce pas ? Mais sans doute est-il bon de rappeler deux autres points à Alain Fienkielkraut :
 
A l’abolition de l’esclavage des Noirs (1848), pas un arpent de terre, pas un sou de dédommagement n’a été accordé aux anciens esclaves lesquels n’avaient d’autre ressource que de défricher les mornes (collines) de nos îles pour tenter de survivre grâce à des jardins créoles ou de retourner travailler, en tant qu’ouvriers agricoles sous-payés, sur les mêmes plantations où leurs ancêtres et eux avaient été réduits en esclavage.
 
 Même aux Etats-Unis, accusés pourtant d’être, dans le Sud profond (Mississipi, Alabama etc.), un enfer pour les Nègres, l’Etat s’est fait un devoir d’accorder à chaque ancien esclave « twenty-two acres and a mule » (vingt-deux acres de terre et un mulet). Ou en tout cas avait au moins promis de le faire. Cette formule anglaise est d’ailleurs, très symboliquement, le nom de la compagnie cinématographique du cinéaste noir américain Spike Lee.
 
 Aux Antilles, une fois les chaînes ôtées, le nègre s’est retrouvé Gros-Jean comme devant.
 
 
 – Pas rancunier pour deux sous, le Nègre antillais a participé à toutes les guerres qu’a lancé ou qu’a subi la France : guerre de conquête du Mexique en1860 au cours de laquelle le « bataillon créole », de son nom officiel, fit preuve d’une bravoure extrême comme le reconnurent elles-mêmes les autorités militaires françaises ; guerre de 1870 contre l’Allemagne ; guerre de 14-18 au cours de laquelle de nombreux soldats martiniquais furent décorés pour leur vaillance lors de la fameuse bataille des Dardanelles ; guerre de 39-45 au cours de laquelle 8.000 volontaires Martiniquais et Guadeloupéens gagnèrent, au péril de leur vie, les îles anglaises voisines d’où ils purent rejoindre les Forces Françaises Libres du Général De Gaulle et participer ainsi aux combats, alors même que nos îles étaient dirigées par deux gouverneurs vychistes, les amiraux Robert et Sorin ; guerre d’Indochine où périrent de nombreux Antillais (notamment à Dien Bien Phu) ; guerre d’Algérie au cours de laquelle, pour un Frantz Fanon, un Daniel Boukman ou un Sonny Rupaire qui rallièrent le FLN, des centaines de soldats antillais participèrent sans état d’âme à cette « sale guerre » ; guerre du Tchad dans les années 80 etc…etc…
 
 Alors, anti-blancs et francophobes les Martiniquais ?
 
 Assistés les Antillais alors que pendant trois siècles, ils ont travaillé sans salaire, sous le fouet et le crachat, pour enrichir et des planteurs blancs et l’Etat français ? Que pèsent, en effet, ces cinquante dernières années de « départementalisation » et de juste remboursement de la dette de l’esclavage face à ces trois siècles d’exploitation sans merci ?
 
 Sans doute faudrait-il aussi rappeler à Alain Finkielkraut qu’au XVIIIè siècle, la France faisait les trois-quarts de son commerce extérieur avec Saint-Domingue (devenue Haïti), la Martinique et la Guadeloupe et qu’entre ces « quelques arpents de neige du Canada » comme l’écrivait Voltaire et les Antilles, elle n’hésita pas une seconde. Aux Anglais, le Canada peu rentable à l’époque (d’où le lâche abandon des Canadiens français, subitement redécouverts par De Gaulle en 1960). Aux Français, les riches terres à sucre de canne, café, tabac et cacao des Ant illes.
 
 Toute personne qui fait fi des données historiques et sociologiques présentées plus haut (et je n’ai même pas parlé de l’idéologie raciste et anti-nègre qui a sévi dans nos pays pendant trois siècles !) ferait preuve soit de malhonnêteté intellectuelle soit d’ignorance. Je préfère accorder le bénéfice du doute à Alain Finkielkraut et croire qu’il ignorait tout cela avant de traiter les Antillais d’assistés.
 
 Mais venons-en maintenant à la question de l’anti-sémitisme des Antillais.
Et là, que l’on me permette d’énoncer une vérité d’évidence :
 la Shoah est un crime occidental ! Comme l’a été le génocide des Amérindiens, comme l’a été l’esclavage des Noirs, comme l’a été la déportation des Hindous, comme l’a été l’extermination des Aborigènes australiens etc…
 
Le terme de « crime contre l’humanité » est une hypocrisie.
 
 Un faux-semblant. Une imposture.
 
 En effet, quand un individu commet un crime, personne ne songerait à taire son nom. Thierry Paulin (Antillais), Guy Georges (métis de Noir américain et de Français) et Patrice Allègre (Français) sont des « serial killers ». Fort bien. Mais alors qu’on m’explique pourquoi, quand il s’agit d’un crime commis par un peuple, un état ou une civilisation bien particulière, on s’acharne à en dissimuler le nom ? Pourquoi ?
 
 
Non, monsieur Fienkielkraut, si la Shoah est bien une abomination, elle n’a été mise en oeuvre, ni par les Nègres, ni par les Amérindiens, ni par les Chinois, ni par les Hindous, ni par les Arabes. Elle a été mise en œuvre par l’Occident.
 
 
Ce même Occident qui n’a cessé de pourrir la vie des Juifs depuis 2.000 ans. Citons : – Destruction du Temple de Jérusalem par les Romains en l’an 70 et dispersion du peuple Juif. – Inquisition au Moyen-âge par les Espagnols. – Pogroms au XIXè siècle par les Russes et les Polonais. – Chambres à gaz par les Allemands au XXè siècle. – Rafle du Vel d’Hiv’ par les Français au même siècle etc…etc…
 
 
Et puis, deux petites précisions à nouveau et là, Alain Fienkielkraut ne peut feindre l’ignorance :
 – « Le Protocole des Sages de Sion » n’a été rédigé ni en hindi, ni an quechua, ni en swahili, ni en chinois, ni en arabe. C’est un faux grossier, un chef d’uvre d’anti-sémitisme, concocté par la police tsariste et écrit en russe, langue européenne si je ne m’abuse.
 
 – Ce ne sont pas les Juifs vivant dans les pays arabes, les Séfarades, qui ont dû fuir comme des dératés pour s’en aller construire un état où ils seraient enfin libres mais bien les Juifs d’Europe, les Ashkénazes, parce qu’ils avaient compris qu’il ne pouvaient plus vivre sur ce continent. Quand la France arrive, par exemple, en Algérie, en 1830, elle découvre trois populations vivant en relative harmonie, les Arabes, les Berbères et les Juifs. Certes, en terre musulmane, le Juif avait un statut inférieur, dit « de protégé » car peuple du Livre, mais on n’a jamais entendu parler, ni au Maroc, ni en Tunisie, ni au Yémen d’entreprise scientifiquement élaborée d’extermination du peuple juif.
 
 
 Ma question à Alain Fienkielkraut est donc simple, naïve même :
 
 Pourquoi après avoir subi tant d’avanies de la part de l’Occident vous considérez-vous quand même comme des Occidentaux ?
 Pourquoi un ministre des affaires étrangères d’Israël s’est-il permis de déclarer récemment : «Nous autres, Occidentaux, nous ne nous entendrons jamais avec les Arabes car ce sont des barbares ». Toute la presse bien-pensante d’Europe s’est émue du mot « barbares ».
 
 
 Moi, ce qui m’a choqué par contre, c’est le terme « Occidentaux ». Comment, monsieur Finkielkraut, peut-on se réclamer de l’Occident après avoir subi l’Inquisition, les pogroms, les chambres à gaz et la rafle du Vel d’Hiv’ ? Oui, comment ?
 
 Quand vous aurez répondu à cette question, le vrai débat pourra commencer…
 
 Ceci dit, il ne s’agit pas pour moi de diaboliser l’Occident. C’est, paradoxalement, le continent de tous les extrémismes : extrémisme dans la violence (génocide, esclavage, Shoah) ; extrémisme dans la générosité (comparons, par exemple, la formidable mobilisation européenne à l’occasion du tsunami en Asie du Sud-Est et les centaines de millions d’euros d’aide récoltés à cette occasion avec l’inertie scandaleuse des riches royaumes et émirats arabes où, pourtant, travaillent comme serviteurs des dizaines de milliers de travailleurs émigrés indonésiens).
 
 
L’Occident est capable du meilleur et du pire.
 
 
 Il est inégalable dans le meilleur et dans le pire. Un ultime point tout de même : quand vous déclarez, sur Radio Communauté Juive, que nous détesterions Israël «parce que ce n’est pas un pays métissé », je préfère croire que vous voulez rire.
 
 Quel pays est plus multiculturel et plus multilingue qu’Israël avec ses blonds aux yeux bleus russophones, ses Noirs d’Ethiopie (Falashas) parlant l’amharique, ses Séfarades au type sémite et souvent arabophones et même ses Juifs indiens et chinois, sans même parler du million d’Arabes israéliens ?
Raphael CONFIANT