Une ONG s’offre les ruines du palais présidentiel


A Haïti, le pays des immeubles qui s'effondrent, l'action des ONG ne se limitent pas aux seuls camps de réfugiés. Le palais présidentiel, dernière blessure visible du meurtrier séisme de janvier 2010, est en train d'être « bénévolement » rasé par J/P Haitian Relief organization, oeuvre philanthropique de l'acteur américain Sean Penn.

Pendant plus de deux ans, les Haïtiens ont vécu avec les ruines du palais national comme ils ont vécu sous les tentes et les bâches offertes gracieusement par la vague des ONG ayant débarqué sur la demi-île caribéenne souvent frappée par le malheur. C’était dur, mais la plus ancienne République des nègres révoltés peine à sortir de la dépendance internationale. Son budget annuel est régulièrement soutenu à près de 50% par les bailleurs de fonds internationaux et des pays amis. Les 131 milliards de gourdes (monnaie locale, pour l’année fiscale 2012-2013) – le plus gros budget de toute son histoire – suffisent à peine pour payer les employés de la fonction publique, tenir les institutions à flot et consentir certains investissements. Même pas assez pour passer à la démolition des ruines du palais, dont le coût sera finalement assumé par J/P Haitian Relief organization, l’organisation humanitaire de la star hollywoodienne Sean Penn.

Le « demolition man »  n’est pas étranger à Haïti. La star entre dans l’intimité des réfugiés du vaste « Camp Golf » dans le quartier de Delmas 48 qu’elle administre au lendemain du séisme qui a fait quelque 250 000 morts et 1,5 million de sans-abri. Sean Penn rentre avec la même familiarité dans les bureaux officiels du président haïtien aménagés dans des appartements occupés autrefois par la garde présidentielle. Adulé, celui qui a taclé une fois Wyclef Jean – star mondiale du hip-hop dont la candidature à la présidence haïtienne a été rejetée – a obtenu une médaille de la présidence avant qu’il ne soit nommé ambassadeur itinérant.

Les légendes entourant l’immense bâtisse blanche en forme de E ne sont pas coutumières aux référents culturels américains de l’acteur. Il propose "bénévolement" de s’occuper du ground zéro du palais qui est, sans conteste, l’expression la plus achevée d’une grande période de l’architecture en Haïti. C’est aussi l’un des plus beaux exemples d’architecture néoclassique transplantée en Amérique, disent les esprits chagrins qui voient les engins lourds fouler la pelouse encore émeraude du site pour lancer la démolition sauvage. Livrer le palais national à une ONG est tout un symbole; 221 ans après le soulèvement général des esclaves, nous sommes incapables de déblayer les ruines de la maison nationale.

Les bruits des premiers coups de pelleteuses répercutés aux ruines sont à mille lieues d’être comparés à l’explosion de la poudrière qui a détruit le palais en 1912 et tué Cincinnatus Leconte, le président à l’époque, et quelque 200 soldats attachés à son service. Ils auront pourtant la même finalité : le rasage. Le troisième en un siècle et demi pour le palais qui a une histoire aussi agitée que celle du pays.

Il est à noter que la première phase des travaux a consisté en un démontage sous contrôle. En effet, le directeur de l’Institut de sauvegarde du patrimoine national (Ispan), Henry-Robert Jolibois, a fait tout un plaidoyer pour garder les restes de ce beau patrimoine architectural qui tombent en miette à force d’avoir tremblé sur ses bases. Ses propos rappellent aujourd’hui ceux d’un architecte qui a tenu mordicus à convaincre l’opinion publique de garder un édifice d’apparat, non fonctionnel en vue de perpétuer la mémoire architecturale néoclassique à Port-au-Prince : « On va utiliser des systèmes pour essayer de sauvegarder des parties du palais dans leur intégralité, car il s’agit d’un symbole. »

Un palais en 10 millions de morceaux

Les marécages pourraient être les dernières destinations des décombres du palais reconstruit entre 1914 et 1923, selon un plan proposé par Georges Baussan, architecte haïtien diplômé de l’École spéciale et générale d’architecture de Paris. Des nostalgiques ont leurs petites formules : une division en 10 millions de morceaux destinés à autant d’Haïtiens. Les morceaux du Mur de Berlin, mettent-ils en avant, ont été vendus aux touristes. Quelques Haïtiens gardent précieusement des muettes dans leur salon en souvenir des deux  Allemagnes – hôte de la Coupe du monde de football en 1974, à laquelle avait pris part une sélection haïtienne qui a mis fin à l’invincibilité de Dino Zoff – qu’ils ont visité une fois.

En attendant, c’est un vide déchirant dans une ville-capitale sans âme. Pas de cloche pour les rappels à la prière depuis l’effondrement de la cathédrale sous les secousses telluriques. Il ne reste que les chants de coqs noyés dans la pollution sonore. Au lancement des travaux de démolition du palais, une cohorte de religieuses vêtues de robes blanches immaculées se rapprochent du grillage en fer pour chanter, prier, exorciser…Elles voulaient que cet édifice soit remplacé par un palais indestructible. Que la nouvelle maison du peuple soit un lieu où plane l’Esprit-Saint. Un lieu où lorsque les dirigeants rentrent, ils sont animés par un esprit qui les pousse à œuvrer véritablement au profit des mandants.

Les protestants sont toujours habités par le rêve d’un palais en cristal que Dieu aurait réservé à ceux qui ont fait sa volonté. Eux, ils voudraient que ce palais sur terre soit habité par ceux qui font du bien pour le peuple. « Les choses anciennes sont passées (le palais détruit par le séisme). Toute chose est devenue nouvelle (le palais à venir) », chantent-elles philosophes.

Chanteur professionnel, le président Martelly, lui, ne fredonne pas son plan pour le palais de toutes les tentations. Il le dicte: « La nouvelle construction reproduira à l’identique ces lignes, formes et volumes qui entretenaient et justifiaient notre orgueil. » Vivant dans la constante nostalgie du palais qu’il idéalise, le chef de l’Etat reste de marbre sur le coût du projet de reconstruction et sur l’origine des fonds. Nouveau champ laissé aux ONG ?

Claude GILLES