2013 : l’année Henry Sidambarom


L’affiche officielle des commémorations.

Le “comité guadeloupéen pour la commémoration du 150e anniversaire de la naissance d’Henry Sidambarom” lancera officiellement, le 16 février prochain, le programme des manifestations culturelles prévues tout au long de l’année, par les différentes associations impliquées. L’occasion de célébrer la mémoire et le souvenir de l’œuvre politico-sociale du “grand Guadeloupéen” que fut Henry Sidambarom (1863-1952), ardent défenseur de la reconnaissance des droits civiques des Indiens de Guadeloupe et de tous leurs descendants.

« Nous sommes nés à la Guadeloupe […] mais pourquoi nous considérer à notre tour comme sujets français et non comme citoyens français, au même titre que n'importe qui ayant pris naissance à la Guadeloupe ? […] Vous ne pouvez chasser toute une race d'hommes méprisés à tort que vous considérez comme des ilotes dans votre société, mais qui contribuent pour une part égale aux charges de la colonie […] Dont à la Guadeloupe, les fils comme les pères ont donné et continuent encore à donner du meilleur de leurs entrailles à  la production du pays […] Et au lieu de leur tendre la main […] vous leur signifiez, parce qu’ils n'ont pas qualité de participer également à la puissance publique, parce qu'Indiens, qu'ils sont Français d'office. Nous sommes ici comme en France. La meilleure preuve de notre qualité de Français est définie par la loi ».

Le combat de toute une vie

Ces quelques lignes sont extraites des minutes du “Procès politique” qu’a initié et subi, 20 longues années durant (1904-1923), Henry Sidambarom, face aux juges du tribunal de Capesterre Belle-Eau. Son intitulé, très explicite – “Contestation des droits électoraux, opposée par le Gouverneur de la Guadeloupe, M. le Vicomte de la Loyère, aux fils d’Hindous nés en Guadeloupe” –, signe sa volonté de faire reconnaître, au bénéfice des siens, descendants d’immigrés indiens installés en Guadeloupe, la nationalité française, le droit de vote et le droit de faire son service militaire.

C’est au nom des valeurs révolutionnaires de la nation française qu’il construit un argumentaire farouche, obstiné, juridiquement implacable, pour faire reculer l’obscurantisme des mœurs et lois non-écrites d’une époque coloniale encore vive dans les esprits. « La République ne doit pas instituer des distinctions entre ses citoyens. Oublierait-elle sa devise inscrite au frontispice de son édifice : Liberté-Égalité-Fraternité ? »

Un destin hors normes

Henry Moutou Sidambarom est né le 5 juillet 1863, sur l’habitation "Source Pérou" à Capesterre Belle-Eau, de parents (Joseph Sidambarom et Allamélou), tous deux travailleurs migrants originaires du Tamil Nadu (Sud de l’Inde), engagés par Marc Bonaffé, propriétaire de l’habitation “Grand-Rivière”.

Élève studieux d’une institution jésuite (“Les Frères de Ploërmel”), déterminé à s’élever dans l’échelle sociale, le jeune Henry se voit contraint de trouver du travail, suite au décès de sa mère. Il sera un temps commis au Bureau central de l’immigration, à Basse-Terre, suivant assidûment les débats du Conseil général.

C’est ensuite à Pointe-à-Pitre qu’il part travailler dans le commerce d’Adolphe Sidambarom, un parent. En juin 1897, il est élu conseiller municipal à Pointe-à-Pitre, sur la liste d’un ami, Charles Danae. Il sera rapporteur de la commission financière et budgétaire. Deux ans plus tard, il est de retour à Capesterre-Belle-Eau, pour s’occuper des affaires de son père, malade – ce dernier meurt en 1901. Il y tiendra une épicerie, une quincaillerie, un magasin de matériaux de construction, nons sans avoir construit un cinéma-théâtre de 300 places (une première pour l'époque !) et une boulangerie coopérative.

Homme politique et humaniste

Sa vocation politique s’affirme, sur fond d’action sociale, alliant les convictions d’une âme compatissante, au service des humbles et des sans-grades, à une rare intelligence stratégique. En 1901, il fonde “L’obole des travailleurs”, une société de secours mutualiste. En 1904, il devient président de la Ligue des Droits de l’Homme. La même année, il se présente aux élections municipales à Capesterre. Au dépouillement des urnes, sa liste triomphe largement. Mais, trahi par ses co-listiers au prétexte de son “indianité”, c’est un illustre inconnu, Célestin Anatole, qui est élu maire. Henry Sidambarom démissionne… sans renoncer au combat le plus illustre de son parcours.

Son “Procès politique” débute le 23 février 1904 au tribunal de Capesterre Belle-Eau – [ début du Procès à télécharger ici ].

Le long dossier en défense qu’il entame alors ne s’achèvera que le 21 avril 1923, avec les instructions données par Henri Poincaré, le président du Conseil des ministres, aux Gouverneurs des trois Colonies pour le rétablissement des travailleurs indiens dans leurs droits – [ la missive gouvernementale marquant la fin du Procès est à télécharger ].

La naturalisation, gagnée de haute lutte, au prix d’une rare éloquence d’autodidacte, par Henry Sidambarom concerne désormais tous les Indiens de Guadeloupe et tous leurs descendants.

En janvier 1944, il est nommé juge de paix du canton de Capesterre. Une fonction qu’il occupera pendant 5 ans. En 1948, le conseil municipal de Capesterre et le Conseil général décident de lui attribuer la Croix de la Légion d’honneur. Pour l’ensemble de son œuvre, en tant que défenseur des travailleurs indiens. Et en signe de reconnaissance pour son courage pugnace au service des plus déshérités, dans le contexte social, difficile à imaginer de nos jours, d’une Guadeloupe post-esclavagiste…

Un hommage consensuel

« Dans quelque hypothèse que l'on se place, nous sommes toujours Français. Nous sommes donc Français de plein droit […] Nous avons par conséquent comme tant d'autres, et au même titre, acquis droit de cité en cette colonie, considérée comme un département français. »

Des propos que, 150 ans après sa naissance, plus de 60 ans après sa mort (le 15 septembre 1952), tout Guadeloupéen de naissance ou de cœur est invité à méditer, à quelque origine ethnique, sociale ou confessionnelle qu’il appartienne. Pour mesurer le chemin parcouru, mais aussi pour encourager le retour à la nécessaire cohésion d’une société métisse, plus riche de ses différences que des dissensions reçues en héritage…

Le combat incessant et l’exemple de vie d’Henry Sidambarom méritaient largement hommage public et consensuel. Celui-là même auquel les membres du Comité Sindambarom s’apprêtent à convier la Guadeloupe, toutes composantes confondues, avec le soutien motivé du Département, de la Région et des associations rassemblées. Des spectacles, rencontres, débats et manifestations sont prévus, tout au long de l’année commémorative qui lui est opportunément consacrée.

Daniel ROLLÉ