Chocolat : la “Belle Époque”, la mal nommée, revit à l’Artchipel


Un duo clownesque qui revisite l’histoire de Chocolat, clown nègre et ancien esclave cubain, dans le Paris de la "Belle" Epoque !


La Scène nationale de Basse-Terre accueille, ce samedi, une édifiante pièce de théâtre sur l’une des “figures” méconnues, voire même injustement oubliée, des cafés-concerts et scènes de music-hall de la fin du 19e siècle, à Paris : Rafael Padilla, le “clown nègre”. Sur une mise en scène de Marcel Bozonnet, de la compagnie des Comédiens-Voyageurs, une pièce à rire… et à pleurer, pour aller aux sources des préjugés et mesurer le chemin à parcourir…

« Le nègre “battu et content” dont la République a alors besoin pour justifier la colonisation. » Telle apparaît, dans la brochure qui présente le spectacle à la presse, l’accroche-pamphlet destinée à soulever d’indignation le spectateur insulaire, ou, en tout cas, à éveiller son intérêt pour un spectacle de théâtre défendu avec ferveur par quatre interprètes venus du cirque – tiens donc ! – du théâtre et de la danse.

Cette petite troupe inspirée s’attelle à évoquer les grandes étapes de la vie d’artiste de “Chocolat, clown nègre”, star du Paris de la Belle Époque, avec son complice et compère, Foottit, un clown anglais qui semble, parfois, au détour de la pièce qui nous est proposée, servir de faire-valoir – un comble, si l’on se réfère à l’ambiance de l’époque ! – à son alter ego “coloré”…

Un triomphe ambigu

Car il s’agit, là, et même au détour d’une comédie clownesque revisitée par le talent iconoclaste de Marcel Bozonnet, le metteur en scène, de se remettre dans l’ambiance sociale d’une époque – la IIIe République – qui vit Jules Ferry, le promoteur de “l’école gratuite et obligatoire” pour tous, affirmer dans le même temps le devoir, pour “la race supérieure” (la blanche, naturellement), de “civiliser les races inférieures” (1885).

Il faut, pour mesurer l’audace du propos théâtral, éviter tout anachronisme mal venu et inutilement moralisateur, et se rappeler que “Chocolat” (précurseur du “Ya bon Banania !” des pubs racialistes de triste souvenir) était le seul artiste noir de l’époque à se produire dans un spectacle clownesque de grande renommée. Il attire alors un public qui n’avait jamais vu d’homme noir auparavant… qui s’amuse à ses dépens tout en admirant ses talents de chanteur et, surtout, de danseur.

Fasciné par l’étrangeté d’un personnage hors normes, le public fait un triomphe ambigu mais enthousiaste au duo… même si c’est toujours l’humiliation du clown noir par le clown blanc qui le fait se tordre de rire. L'expression « je suis chocolat », complaisamment utilisée depuis, signifiant « je suis berné », a d'ailleurs été popularisée par les dialogues de leur numéro d'époque.

Un incroyable destin

L’histoire, extraordinaire et tragique, de Rafael Padilla de Leïos, l’esclave cubain qui triomphait alors sous les atours de “Chocolat”, est sensible en filigrane d’une mise en scène qui fait une large place aux mouvements et à la musique des corps – que les esclaves cubains avaient adapté des danses africaines du temps.

Marcel Bozonnet le rappelle, « l’histoire de Chocolat est mise en perspective par la présence sur scène, grâce à l’utilisation de masques, de nombreux personnages – artistes, intellectuels et politiques : Sarah Bernhardt, Zola, Jules Ferry, Clémenceau, Drumont – qui se sont affrontés au cours de cette époque. »

La pièce jouée ce samedi, à l’Artchipel (20h !) confirme la vocation de la Compagnie des Comédiens-Voyageurs à mêler harmonieusement les arts du théâtre, du cirque et de la rue, tout en gardant contrôle et maîtrise d’un montage polymorphe associant chansons, poèmes, musique, danse, documents journalistiques et archives sonores et visuelles d’époque.

Cette pièce-performance a le mérite, outre son enthousiasme scénique, d’inviter à la réflexion sur la construction des stéréotypes et sur notre rapport à l’Autre, d’où qu’il vienne…

À découvrir d’urgence !

Daniel ROLLÉ