Marché international du film et de la TV : la synergie caribéenne se met en place


Un marché caribéen en plein essor…


En marge du FÉMI 2013, un marché international dévolu aux producteurs et partenaires de la filière cinématographique et télévisuelle caribéenne s’est installé, 3 jours durant, fin janvier, au cœur de “Lakasa”, l’enseigne culturelle bien connue des amateurs de musique et de spectacles en Guadeloupe. Un lieu ciblant échanges et rencontres propices au développement financier et organisationnel d’un secteur d’activité en plein essor dans la Caraïbe…

Les professionnels du film et de la télévision de notre ère géographique caribéenne tenaient salon en Guadeloupe, du 29 au 31 janvier, au cœur d’un espace voué à la défense et illustration de l’excellence insulaire dans les domaines du 7e art et de la télévision. Producteurs, diffuseurs, distributeurs de la Caraïbe, d’Europe ou des USA ont ainsi pu rencontrer et discuter, entre opérateurs culturels, avec les représentants des “responsables achats” de chaînes de télévision intéressées, mais aussi des banques, assurances, agences de développement et autres investisseurs privés, dans le cadre d’échanges partenariaux à venir.

Un marché d’envergure

Également présents à ce “marché international du film et de la télévision caribéens” (MIF-TC), les commissions du film venant de Trinidad & Tobago, de Jamaïque et de la République dominicaine ont rencontré leurs homologues de la Guadeloupe. Stands d’exposition et espaces de visionnage ou de communication ont structuré le chemin de visite et d’échanges, outre un petit marché régional des produits du terroir, ajoutant à l’ambiance conviviale du site.

Les grandes missions de ce MIF-TC ? Promouvoir compétences et savoir-faire locaux dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel et du tourisme ; échanger expériences et expertises en économie de marché ; encourager le développement à l’international de l’industrie caribéenne du secteur.

La Guadeloupe, partenaire initiateur

Endossant, pour l’occasion, son chapeau d’organisateur, aux côtés de la Région Guadeloupe, initiatrice de l’événement, du Comité du Tourisme des îles de Guadeloupe et de l’association Images et Culture du monde, Tony Coco-Viloin, jeune cinéaste guadeloupéen et responsable de la commission régionale du Film en Guadeloupe, a présenté les grandes lignes et objectifs d’une manifestation d’envergure, en matière de projets culturels d’avenir. Morceaux choisis.

« Le réseau des organisations caribéennes du film est une grande famille. Elle rassemble 18 pays de la Caraïbe, de Cuba au Venezuela, en passant, bien entendu par les îles francophones. 4 pays s’avèrent particulièrement offensifs sur ce marché caribéen du film : la République dominicaine, Trinidad & Tobago, la Jamaïque et la Guadeloupe. Par exemple, quand on se retrouve au Salon du tournage à Los Angeles, on se rend compte que la République dominicaine communique en anglais, mais aussi en français ! Alors qu’on devrait être des concurrents ! Notre méthode a été d’aller chercher nos concurrents, pour travailler ensemble. La Guadeloupe a aujourd’hui la vice-présidence du C.A.N. (“Caribbean audiovisuel Network”, le réseau caribéen de production audio-visuelle, qui s’est monté depuis 3 ans). C’est dire son implication dans cette dynamique partenariale, avec un objectif prioritaire : mettre en commun les différents fonds d’aide et de soutien à cette industrie dans la Caraïbe. »

Pour une synergie caribéenne des compétences et des moyens

Comme pour toute industrie majeure, la question principale demeure celle des financements disponibles, l’indispensable “nerf de la guerre” qui se joue, en cette matière éminemment culturelle, sur plusieurs fronts, au plan mondial.

L’industrie du cinéma se compose, rappelons-le, du scénario, de la production, de la distribution et de l’exploitation. À chacune de ces étapes correspond, en France, des aides du CNC – le Centre national du Cinéma – l’État français assurant, estime-t-on, un quart du risque cinématographique national.

Pour Tony Coco-Viloin, la Guadeloupe a vocation à fédérer les compétences caribéennes dans ce secteur, à impulser d’autres manières de voir, et de faire.

« Nous, en Guadeloupe, nous ne disposons pas d’un crédit d’impôt – mesure incitative à 40% d’abattement fiscal des dépenses locales, comme c’est le cas en Jamaïque, à Trinidad ou à Porto-Rico… Mais on a le Fonds d’aide du CNC… On a donc décidé de rassembler tous nos moyens disponibles. Avec une obligation naturelle, dans cette dynamique : travailler ensemble. […] La Jamaïque a eu la première commission du film. Le Festival de Trinidad est essentiellement financé par les grands pétroliers. L’essentiel des Festivals qui ont lieu dans la Caraïbe s’organisent sans fonds publics, il faut le rappeler… Il n’y a qu’en Guadeloupe, Martinique et Guyane qu’il existe des fonds publics. On a appris à nos voisins de la Caraïbe que plus personne n’était réellement indépendant aujourd’hui, à l’ère de la mondialisation. On a ouvert notre fonds d’aide à tout le monde. Il suffit qu’on nous dise : on vient tourner en Guadeloupe, il y aura une mise en valeur induite de la culture guadeloupéenne, on va faire travailler les techniciens guadeloupéens… pour qu’on accompagne de telles initiatives ! »

La créolophonie, un atout à exploiter

« La première langue de la Caraïbe, ce n’est pas l’anglais, mais l’espagnol… Il faut utiliser tous les langages dont nous disposons. La créolophonie est un langage (partagé par beaucoup dans notre sphère caribéenne), mais qui ne se limite pas à la langue. Il y a aussi la manière d’être, de faire, d’aller vers les autres, d’établir des connexions avec les autres. Nous avons endossé ce rôle. Les Caribéens anglophones sont très protectionnistes. Nous, nous poussons l’esprit de partage à l’extrême. Nous leur avons appris à envisager autrement ce partenariat. “Yes, we can !”. Ensemble, nous sommes plus forts… Reste qu’il faut regarder les choses en face : combien de Caribéens investissent en Guadeloupe ? C’est plutôt l’inverse qui se passe… Nous, nous leur disons, au niveau des acteurs, des producteurs, par exemple : travaillons ensemble ! On a l’exemple de Cali P. (Pierre Nanon, le fils de Marso, du groupe Akiyo), une jeune Guadeloupéen installé en Jamaïque, qui y fait “un tabac” ! C’est lui qui a chanté l’hymne de la Jamaïque lors de la Coupe du monde de foot en Afrique du Sud ! Nous avons vocation à “vendre” tout notre potentiel, toutes nos compétences ! On vend notre universalisme. C’est ce que commence à comprendre le réseau du Film France… Il y a toute une pédagogie à mettre en place, au plan tant régional, national qu’international, en cette matière sensible. »

« Au niveau du marché de la Télévision, de plus en plus d’agences de presse se développent… Au niveau de la production axée sur la fiction et la création documentaire, il y a encore beaucoup d’efforts à faire… Quelle est, pour la presse locale, la politique de relais d’informations, s’agissant du paysage audiovisuel en Guadeloupe ? Et dans la Caraïbe ? Qu’est-ce qui est mis en place ? Au niveau du cinéma, on ne sait pas qui est aidé ! Il faut faciliter les échanges entre la presse et les professionnels du secteur… »

« Quand il devient nécessaire d’inventer des lois pour sauver une langue et une culture, c’est parce qu’il est déjà trop tard », a dit l’historien Claude Carlier. La nécessaire défense de la culture cinématographique ultra-marine n’a pas encore accouché d’une loi de sauvegarde. Est-ce à dire, pour autant, qu’elle ne mérite pas d’être préservée et défendue ? Avant qu'il ne soit trop tard…

Daniel ROLLÉ