Le cannabis, un fléau pour la Martinique


Un plant de cannabis.

Le cannabis représente un énorme trafic en Martinique. Vendu sur le bord des routes, à l'entrée des plages, il fait l'objet d'un marché gigantesque. Organisée et contrôlée, on ne compte plus les faits-divers et autres règlements de comptes auxquels sa consommation est associée. Et on mesure mal la croissance du juteux trafic qu'elle engendre. Mais, qu'est réellement cette plante ? Et quels en sont les enjeux ?

Réputé pour être une drogue douce et accessible à tous, le cannabis est le stupéfiant le plus largement consommé en France. Pourtant, les dangers en sont bien connus aujourd'hui. Les jeunes en sont les principales victimes, qu'ils soient dealers ou consommateurs. Petit rappel sur ce qu'est réellement cette plante.

Un stupéfiant

Le cannabis est classé parmi les stupéfiants. Son principe actif, le THC (tétrahydrocannabinol), est psychoactif. Il est, en général, vendu sous trois formes : "herbe", résine ("shit" en langage de la rue) et huile. Sa concentration peut varier selon sa provenance et sa variété. "L'herbe" (plus couramment appelée beuh, ganja, marijuana) est le produit le plus vendu en Martinique. C'est la plante séchée qui se fume. La résine (shit, haschisch, chichon…) est le résultat de la plante compressée. Elle se fume mélangée à du tabac et est souvent remplie de différentes substances toxiques. L'huile est souvent fumée en pipe et possède une concentration supérieure en THC.

Une drogue pas si douce que ça

En général, les consommateurs recherchent un état de détente, de bien-être et des perceptions modifiées (mieux entendre la musique, par exemple). Mais ces effets ne sont pas toujours obtenus et, certaines fois, se transforment en une angoisse très forte. Sa consommation provoque aussi des vomissements, des tremblements. Les consommateurs parlent alors de "bad trip". La mémoire peut être affectée. La concentration diminue. Les réflexes sont altérés. Il devient alors dangereux de conduire ou de travailler sur une machine, par exemple.

Des atteintes physiques

Selon la personne, des atteintes physiques peuvent être constatées : yeux rouges et gonflés, augmentation de l'appétit, palpitations cardiaques, bouche sèche et nausées. Si la consommation est régulière, des atteintes plus graves peuvent se manifester : anxiété, panique, dépression. L'atteinte la plus grave est la psychose cannabique. Les consommateurs disent que l'on peut rester "perché".

Conclusion d'évidence : il n'y a pas de drogues "douces", il n'y a que des drogues tout court !

Les jeunes, principales victimes

Qu'ils soient consommateurs ou utilisés comme dealers, les jeunes sont les principales victimes du cannabis et de son trafic. Plus de 50 000 personnes ont déjà fumé un "joint" en Martinique. Il faut dire qu'il est très facile de s'en procurer. Sur le bord de la route, ou à l'entrée des plages comme celle de l'Anse à l'Âne, par exemple, les dealers gèrent leur commerce en groupe, à la vue de tous. Certains n'ont pas 15 ans !

Dans beaucoup de cas, la drogue arrive par kilo, la nuit, sur les plages du sud, en particulier. Elle vient souvent de Sainte-Lucie et de Saint-Vincent, mais quelques plantations locales ont également été constatées.

La Martinique est une plaque tournante du trafic

La dernière saisie de 90 kg de cocaïne en est une preuve. Des quantités énormes sont saisies chaque année, mais le trafic perdure. Le trafic de cannabis représente d'énormes sommes d'argent, au point que la cocaïne en devient une monnaie d'échange. C'est dire si le trafic de cannabis est important sur notre île. Le trafic augmentant, la violence suit la même courbe ascendante. Ce trafic n'a rien d'un folklore. C'est une organisation mafieuse bien huilée. La Martinique ne fait pas que consommer sur place, c'est aussi, souvent, un point d'étape avant que la drogue n'entre en métropole.

Une violence quotidienne

Ce trafic s'étant démocratisé sur toute la Martinique, la violence associée à ce commerce "se démocratise" également. La plupart des faits-divers recensés dans le domaine concernent des règlements de comptes entre dealers. Les forces de l'ordre s'efforcent d'éviter une escalade incontrôlable. Mais l'étendue du problème est telle qu'il est bien difficile de contrôler toute l'île.

L'autre impact économique concerne le tourisme. Les gens hésitent à aller sur certaines plages, quand un groupe de dealers est posté à l'entrée. Certains n'hésitent pas à haranguer les consommateurs potentiels, comme s'ils vendaient des souvenirs ou de la nourriture.

Quelques chiffres

Depuis 2004, plus de 60 organisations criminelles ont été démantelées. Plus de 650 personnes ont été arrêtées, dont la majeur partie est sous mandat de dépôt. Presque 26 tonnes de produit ont été saisies. D'importantes sommes d'argent, des armes, des véhicules, des bateaux, etc… ont également été saisis dans d'énormes proportions. Un indice statistique témoigne de l'importance du "phénomène" : les Antilles représentent plus de la moitié des saisies réalisées sur le sol français.

Les enjeux financiers sont très importants et représentent une véritable économie parallèle.

Quelles solutions ?

Pour certains, il faut augmenter la répression. Pour d'autres, il faut dépénaliser le cannabis. Il est vrai que si le cannabis devait être dépénalisé, le nombre de clients des dealers serait en chute libre. La solution serait donc de désorganiser les dealers et de les priver de clients. Être autorisé à faire pousser quelques pieds dans son jardin représente, pour certains, une voie de solution. Les dealers se voyant, ainsi, privés d'un certain volume de clients, ils seront peut-être moins nombreux. D'autres, au contraire, font part de leur crainte que cette solution, même si elle devait entraîner une diminution du nombre de trafiquants de cannabis, pourrait favoriser, en revanche, le trafic de drogues encore plus dangereuses, comme le crack ou la cocaïne, qui font déjà des ravages dans les Antilles.

Informer

Une chose est certaine : il faut informer les consommateurs sur les dégâts que peut provoquer le cannabis. Des dégâts qui ne sont pas seulement physiques. Il faut aussi évoquer ses dommages collatéraux : pertes d'emploi, ruptures, désocialisation. L'enjeu est énorme. L'âge de début de consommation intervient de plus en plus jeune : certains fument régulièrement du cannabis dès 11 ou 12 ans.

Il apparaît donc très important d'informer les jeunes, victimes potentielles de ce juteux trafic, dès le passage en 6e, le collège étant souvent l'aire de leur première confrontation avec le cannabis.

Interview

À l'entrée d'une plage, il était là, jeune visiblement, casquette vissée sur la tête, une sacoche "banane" autour de la taille, attendant ses clients. Il a accepté de répondre à quelques questions, sous couvert d'anonymat. Nous le nommerons donc Bob.

Quel âge as-tu ? Depuis combien de temps vends-tu du cannabis ?

"J'ai 19 ans. Je vends de la beuh depuis 5 ans. Ça rapporte plus que d'aller à l'école."

Comment se passe le trafic ?

"Régulièrement, nous recevons des quantités venant d'ailleurs. Mais je ne peux pas en dire plus là-dessus !"

Tu dis que cela rapporte plus que d'aller à l'école. Combien cela te rapporte-t-il ?

"Cela dépend des mois et des descentes des keufs. Mais je gagne bien ma vie ; souvent plus de 5 000 euros par mois."

Bob, à l'école aussi, tu peux te former et bien gagner ta vie sans risquer la prison !

"C'est une blague ! Aller à l'école, pour moi, cela veut dire être au chômage, ou travailler 8 heures par jour pour gagner le smic. Si je gagne 1 200 euros et que les loyers sont souvent à 800 euros, comment je fais pour vivre ?"

Tu veux dire que c'est la crise qui t'a transformé en dealer ? C'est un peu facile, non ?

"Et que ce soit toujours les mêmes qui se sucrent, ce n'est pas facile ?"

Sentant une certaine animosité, je décide de lui poser une dernière question : comment vois-tu ton avenir, Bob ?

"Je ne me fais pas d'illusion… Pour l'instant, je n'ai connu que des gardes à vue. Mais je sais bien que je risque un jour de faire de la prison. Un an de prison, ce n'est rien si, à côté, on a bien placé son argent. Ça vaut le coup…"

Un malaise profond et un enjeu de santé et de sécurité publiques

À travers l'expérience de Bob, on le constate, le malaise est profond. Il semble même entretenu par la période de crise que nous vivons actuellement. Le culte de l'argent facile n'a jamais été aussi grand, amplifié par une société devenue individualiste, quasi prioritairement centrée sur l'esprit de compétition. Il suffit de regarder les émissions de télévision, dites de "télé-réalité" : pour gagner, il faut être individualiste et cruel.

De plus en plus de jeunes commencent à consommer très tôt. Des retards scolaires s'en suivent, provoquant petit à petit une inquiétante désocialisation, pour certains. La violence ne cesse d'augmenter, en marge de l'extension de ces trafics de drogue. Les consommateurs l'utilisent pour se "sentir bien". Et si la solution était de leur proposer une société dans laquelle ils pourraient se sentir bien ? L'idée, bien qu'utopique au stade actuel de nos mœurs, n'en est par pour autant irréaliste. Le malaise se généralisant, comment se satisfaire d'imaginer la société sans réaction ?

Dépénaliser ?

Certains politiques, à l'instar de Michel Vaillant, il y a quelques années, réclament la dépénalisation du cannabis. Si elle ne devait pas règler le problème de consommation, elle pourrait, du moins, casser les trafics. D'autres pensent qu'elle serait la porte ouverte à une plus large consommation.

Le débat est lancé. Il appartient maintenant au législateur de plancher plus efficacement sur le problème, alerté par une opinion publique en prise directe avec un certain esprit de résilience solidaire. Le pire n'est jamais sûr…

François LABETOULLE